« Je crois que je suis amoureuse, Elodia », me lance Mily dès que j'ai fermé la porte de ma chambre. « Tu es toujours amoureuse, Mily », je lui réponds. Mily est ma meilleure amie. Elle est adorable, marrante et attentionnée, mais je crois que je n'ai jamais vu une fille aussi innocente et naïve qu'elle. « Mais c'est le grand Amour, cette fois, Elodia ! Tu ne peux pas me comprendre toi, tu es toujours si désabusée ! », s'écrie-t-elle. Je ris. Dans tout ce qui concerne les relations, nous sommes des extrêmes opposées. D'ailleurs, nombre de gens se demandent encore comment nous réussissons à si bien nous entendre. « Tu crois encore aux contes de fées, Mily, mais moi je n'y ai jamais cru. » Elle lève les yeux au ciel. Elle refuse d'accepter mon avis, tout comme je refuse le sien. 

« Mais Elodia, tu verrais passer ton âme sœur devant tes yeux que tu lui grognerais dessus ! » En disant cela, elle s'allonge sur mon lit. Je la rejoins en m'exclamant : « Et qui est ton nouveau prince charmant ? Ton voisin, ton binôme d'anglais, ou bien le fils du patron de ton père ? Ah non c'est vrai, eux, c'était le mois dernier ! » Elle se retourne vers moi et me lance : « Tu sais que tu n'es pas croyable comme fille ? Tu arrives même à critiquer ta meilleure amie, tu t'en rends compte ? » Je lui souris pour la rassurer et lui assure : « Je ne critique pas, je constate juste. Et quel serait le rôle d'une meilleure amie si ce n'était de donner son avis ? » Elle se retourne et se retrouve sur le ventre. Je fais de même et c'est yeux dans les yeux qu'elle reprend. « Et qu'est-ce qu'il y a de mal à rêver d'un conte de fée, à vouloir être une princesse et partir sur le dos d'un cheval blanc vers le château de son prince ? » 

Je la regarde droit dans les yeux. Elle me paraît soudain triste et je réponds avec douceur : « Le souci Mily, c'est que ça n'existe pas, les contes de fée, et les seuls princes qui existent aujourd'hui n'ont cure des gentilles filles comme toi, ils ont leur argent et se satisfont des mariages arrangés. » Je reprends ensuite en riant : « De toute façon, Mily, tu ne pourrais jamais être une princesse ! » Elle prend un air outré et me lance : « Et pourquoi donc ? » Je ris devant sa grimace : « Parce que tu as des lunettes, patate ! » Elle me tire la langue en riant et je reprends : « Non mais c'est vrai quoi, tu imagines une Ariel à binocles ? » Elle grimace encore. « Excusez-moi Cendrillon, mais vous avez perdu vos lunettes de verre ... »

« Il était une fois un beau prince, grand, svelte et rusé. Il se nommait Romain, prénom choisi en dépit de son origine celte. Sa promise, Aglaé, belle princesse blonde à forte poitrine, jeune, et forcément raide dingue de lui, était en danger. En effet, Ganondorf le Maléfique avait décidé de la retenir prisonnière dans sa tour de pierre. Cette tour était en fait le donjon de son château qui se trouvait à l’autre bout du monde, au Royaume des corridas.

Romain était déterminé à sauver Aglaé. C’était son destin de toute façon. Après une longue journée de voyage, car des avions existent à l’époque de notre prince, il se tenait au pied de la tour, médusé. Diantre ! qu’elle était haute cette fichue tour. Et Diantre, heureusement qu’il avait pris de la crème solaire, c’est que ça tape dur dans le sud ! Il s’interrogeait sur la nécessité réelle d’escalader une tour haute de plusieurs centaines de mètres en plein soleil. Il n’avait aucune envie de risquer sa vie et, surtout, il avait le vertige. Il n’écouta que son courage et, rusé, contourna la tour. À l’arrière, il découvrit un ascenseur. C’était logique ! L’ascenseur avait forcément été inventé si des avions existaient ! Arrivé au sommet, il dû longer un couloir assez étroit. Il y tua trois dragons targaryens, qui n’auraient vraiment pas dû être là et qui s’étaient visiblement trompés de plateau, avant d’arriver devant une petite porte. Courageux, il l’ouvrit et en passa vaillamment le pas pour découvrir la princesse enfermée là. 

Cette pièce avait visiblement été très mal décorée, mais ceci est une autre histoire, celle de Dame Idot. Pour en revenir à Romain, la princesse le qualifia de héros avant de lui tomber dans les bras. Elle se retint de le gratifier d’un classique « t’es mignon, mais t’es qu’un petit breton » car il n’était pas réellement petit et qu’Aglaé aimait la cohérence. Comme ils s’entendaient bien, ils vécurent heureux et eurent pleins de bébés par procréation médicalement assistée après que Romain se soit occupé de Ganonmachin en lui bottant le c…

- Tonton, c’est pas un conte ça !

- Bien sûr que si, c’est écrit là, dans ce livre ! » Exulta Thomas, 19 ans, aussi connu comme « Tonton », en brandissant fièrement un gros volume rouge.

Le petit garçon s’approcha lentement du livre et commença à épeler les lettres. Il réussit à égrener C-O-D-E C-I-V-I avant que l’oncle n’écarte rapidement l’ouvrage des yeux curieux. Il avait encore oublié qu’il était en CP cette année et qu’il commençait à savoir lire, la crapule ! 

« L’histoire t’a plu ? Il sourit.

- Oui mais tonton, pourquoi le prince s’appelle Romain comme moi ? Il tourna ses grands yeux vers l’oncle, babysitteur improvisé d’une soirée.

- C’est comme ça, le hasard… Ou bien peut-être es-tu un jeune prince, qui sait ! Tu vois le Prince des biscuits au chocolat là ? »

Les yeux du petit s’illuminèrent. Zut ! Il était surexcité. Ça allait devenir compliqué de l’endormir. Thomas se maudissait d’un côté. Il avait prévu de regarder la télé tranquillement jusqu’au retour des parents, partis à un anniversaire. La rediffusion des Reines du Shopping allait commencer dans une dizaine de minutes et il craignait de manquer le début de l’émission. D’un autre côté, il appréciait énormément son neveu et leur complicité. Il adorait sa vivacité et sa spontanéité. Il se rappelait encore du jour où, après avoir dit être né en 1995, Romain était resté incrédule. Lorsqu’il lui avait demandé ce qui clochait, il avait simplement réagit par un tonitruant « Au siècle dernier ? », ce qui avait provoqué un grand éclat de rire chez son oncle. Thomas arrêta de penser à ces souvenirs car l’heure tournait.

« Alors moi aussi je pourrais combattre des dragons ? Demanda Romain.

- Bien sûr, mais avant cela il faudra reprendre des forces ! Ça tombe bien, c’est l’heure du dodo. L’oncle enroula l’enfant dans sa couverture, celui-ci se tortilla. Et qu’est-ce qu’on ne doit pas oublier ?

- Manger cinq fruits et légumes par jour, se brosser les dents et changer de sous-vêtements tous les matins ! Ses yeux commencèrent à se fermer et il arrêta de gigoter.