Un étudiant, l’air à peine sorti de l’adolescence alors qu’il avait déjà bien entamé sa vingtaine, le visage couturé de cicatrices d'acné et trois poils sur le menton, s’approcha du bureau en bas de l’amphithéâtre qui s’était vidé en une fraction de seconde. La pause déjeuner n’attendait pas
« Non, je suis désolée, mais je ne peux pas arrondir cette note et la faire passer de 4 à 10. Vous vous êtes raté, c’est comme ça, ça arrive. » Il insista encore et la supplia de faire quelque chose. "Et il n'y aura pas de rattrapages cette fois" rétorqua-t-elle. La petite femme brune se retourna vers son étudiant et lui rendit sa dissertation barbouillée de rouge. Son accent traînant du sud des États-Unis s’opposait comiquement à l’accent typique de Londres du jeune homme, qui s’éloigna, la mine déconfite, en se disant qu’il se consolerait peut-être avec une assiette de frites. La professeure s’occupa d’éteindre son ordinateur, et quand elle se retourna à nouveau, se trouva nez à nez avec un géant blond décoiffé, une veste en cuir râpée sur le dos, qui avait descendu sans un bruit les escaliers jusqu’en bas. Elle leva la tête et croisa son regard polaire et hermétique qui la toisait.
« Lenowe… Qu’est-ce que… » Hoqueta-t-elle. Elle resta bouche bée.
Il était arrivé depuis une dizaine de minutes, et l’avait discrètement observée, debout derrière les étudiants du dernier rang qui n'écoutaient rien au cours. Au début, il avait cru s’être trompé d’endroit, se disant tout de même qu'il n'aurait pas apprécié avoir cette femme comme professeur, puis avait reconnu sa voix. Elle avait changé de couleur de cheveux, et était presque méconnaissable. La chevelure d’un grenat flamboyant qu’il n’avait jamais imaginée autrement était maintenant couleur cannelle. Elle ne ressemblait plus à la même personne, et il se sentit désappointé.
« Bonjour Ziva. Moi aussi je suis content de te voir. »
Prise au dépourvu, elle ne sut quoi dire. Il lui laissa prendre son temps, patientant les bras croisés sur la poitrine.
"Comment as-tu trouvé où j'étais?" L'interrogea-t-elle. C'était la question qui lui paraissait la plus pertinente sur le moment.
"J'ai tapé ton nom dans Google. Je ne sais pas si c'est toi qui a choisi la photo sur ta page de présentation, mais elle est affreuse.
-Je suis censée avoir une réunion cet après-midi. Mais au final, c’est pas important. » Elle balança ses affaires dans son sac et descendit de l'estrade. Elle le traîna à travers les couloirs dans lesquels il s’était perdu à l’aller, attirant les regards curieux d'un ou deux de ses collègues, et jusqu’à la station de métro la plus proche où ils attendirent le prochain train sur le quai vide et poussiéreux. Lenowe n’avait de Londres qu’une très lointaine réminiscence d'un voyage organisé par son lycée, et les souvenirs en question n’étaient pas glorieux. Il ne savait même plus si cette histoire d'un gars de sa classe qu'il avait malencontreusement fait tomber dans la Tamise après s'être bourré la gueule était réellement arrivée ou si c'étaient des conneries. Toujours est-il qu'il se souvenait par contre parfaitement de la cuite monumentale qu'il avait prise.
Ils n’échangèrent aucun mot jusqu’à ce que, un quart d’heure plus tard, elle le fasse entrer dans un immeuble quasiment neuf juste au bord de la Tamise. Le soleil s’affirmait timidement derrière les nuages, se reflétant dans les fenêtres des buildings, mais le vent glacial n’invitait pas à traîner dehors.
« Ce n’est pas mon appartement. Sa propriétaire est une prof elle aussi, partie pour un ou deux ans je ne sais plus où. Elle me le prête pour une bouchée de pain. » Lenowe le comprit immédiatement en entrant après elle ; la décoration ne correspondait pas vraiment à sa nouvelle locataire. Trop coloré, trop soigné, une capiteuse odeur d'encens flottant dans l'air, et un peu trop féminin aussi, quoique très confortable, avec une vue sur la rivière et le reste de la ville à couper le souffle; il n'osa même pas penser au prix du loyer, qu'elle n'aurait autrement pas pu se permettre. Ziva ne lui proposa même pas de s’asseoir et commença à préparer à manger. Lui n'avait pas faim. Peut-être parce qu'il ne se sentait absolument pas détendu, ni à l'aise. Ou plutôt parce qu'il avait bien profité du petit déjeuner buffet de l'hôtel.
« Parle » lui ordonna-t-elle en sortant un couteau qui parut soudain menaçant dans sa main, et une planche à découper du lave-vaisselle.
« Je suis arrivé hier. J’ai pris une chambre d’hôtel à côté de je ne sais plus quel musée.
-Non, c’est pas ça que je veux savoir. Pourquoi est-ce que tu débarques comme ça, à l’improviste ? » Lui demanda-t-elle, la tête dans le réfrigérateur. Sa question n'avait rien du reproche.
« J’ai démissionné, rendu mon appartement à Twinbrook et vendu ma voiture.
-Non, arrête tes conneries.
-Je suis sérieux.
-Tu te fous de moi. » Il passa derrière le comptoir de la cuisine et posa ses mains sur ses épaules. Elle tressaillit imperceptiblement.
« Non. Je vais peut-être le regretter, mais je l’ai fait. » Il aurait été, fut un temps, le dernier au monde à tout plaquer pour une femme, après qu'il se soit prouvé à lui-même qu'il ne pouvait réellement compter que sur lui-même - et encore. Ziva ne se rendait pas compte de l’emprise qu’elle avait sur lui. Quand bien même elle l'aurait su, elle n'aurait pas cherché à se jouer de lui.
Elle ne fit pas de commentaire sur ce qu’il venait de lui annoncer.
« Viens m’aider à faire à manger. »
Lenowe déposa la casserole de riz sur la table et jeta un steak dans leurs assiettes respectives. Il observa Ziva. Il ne s’était pas remis de voir ses cheveux d’une couleur différente, qui n’avait pas grand-chose à voir avec sa couleur naturelle dont il avait une vague idée.
« Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda-t-elle cette sur le ton du reproche et non de l’inquiétude ou du souci.
-Rien. Comment tu vas ?" Il baissa les yeux.
"Je vais bien. Rien à dire. Et toi ? » Il n’en avait aucune idée.
« Je ne sais pas vraiment. Mais tu es là maintenant.
-Pitié, arrête tes niaiseries. Mange, ça t’empêchera de parler. »
Finalement, c’était toujours la même femme. Pas besoin de se poser la question plus longtemps.
Lenowe finit sa part de tarte au chocolat et vint s’asseoir à côté de Ziva. Il ne supportait pas de manger face à elle. La confrontation était trop frontale.
« Ce gâteau est trop bon pour que ce soit toi qui l’ait fait." Il ne se souvenait que trop bien de la fois où elle s'était essayée à la pâtisserie, et le résultat avait été un gâteau à l'allure douteuse avec un sale arrière goût de carbonisé.
-Je me suis engueulée avec une collègue, et elle m’a donné un gâteau pour se faire pardonner. J’ai cru qu’elle m’avait fait une saloperie et que son gâteau était dégueulasse. En fait, non.
-Tu devrais t’engueuler avec elle plus souvent. » Pour la première fois depuis qu’il était arrivé, elle sourit sincèrement.
« Raconte-moi, ton nouveau boulot, tout ça.
-Je donne des conférences, je corrige des copies, il m’est aussi arrivé de collaborer avec la police. Voilà. » Elle n’avait pas envie de faire la conversation, même s’ils n'avaient pas eu de véritable discussion depuis des semaines. N’importe qui d’autre qu’eux aurait trouvé ça insoutenable, mais pas eux. Ziva réussit à lui faire parler de la dernière enquête sur laquelle il avait travaillé – rien de bien palpitant, ce qui l’avait poussé à rendre définitivement son insigne et son arme - puis de sa sœur, qui, elle l’apprit, avait coupé les ponts avec lui parce qu’Elisha l’avait trouvé odieux suite au décès de leur mère, et avait déménagé au Canada avec sa fiancée. Il ne dit rien de Salomée qui était désormais la seule restée à Twinbrook, mais qui n’avait nullement l’intention d’aller où que ce soit. Deux heures plus tard, ils étaient toujours assis à la même place, et Lenowe commençait à avoir des fourmis dans les jambes. Ils avaient arrêté de discuter depuis un petit moment, et l’appartement était redevenu silencieux. Même les bruit de la ville ne parvenait pas jusqu’à eux. Ziva jouait du bout du doigt avec deux grains de riz qui s’étaient perdus sur la table. Il posa sa main contre la sienne. Elle contempla les doigts longilignes, puis releva la tête et croisa le bleu boréal de ses yeux, qui ne laissaient rien paraître. Lenowe posa son autre main sur l’épaule de Ziva, qu’il saisit fermement, et approcha craintivement son visage du sien. Elle prit l’initiative de faire ce qu’il n’osait pas ; elle l’embrassa avec avidité, sur le point de lâcher prise, avant de le repousser soudainement, le laissant consterné et frustré.
« Je ne sais pas... je... ne... marmotta-t-elle
-De quoi ? » Il fronça les sourcils. Elle en avait déduit que s’il avait tout laissé tomber et qu’il était venu à elle avec rien de plus qu’un compte en banque relativement plein, c’est qu’il avait l’intention de lui demander de s’installer avec elle. Et sa réponse serait non. Pas même un « je ne suis pas prête ». Elle ne le serait jamais. Elle n'avait eu qu'une seule relation sérieuse auparavant, avec un autre étudiant de sa promotion. Pendant presque deux ans, elle n'avait que fait semblant. Fait semblant d'apprécier les bouquets de fleurs, les balades à la plage les week-ends romantiques à La Nouvelle Orléans, les dîners en tête à tête. Fait semblant de se montrer attentionnée. Elle s'était forcée à se comporter comme elle se croyait obligée de le faire. Jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'elle n'avait jamais ressenti quoique ce soit pour lui, et qu'il commence à suggérer qu'ils emménagent ensemble. Et elle avait tout coupé court. Pendant un moment, elle s'en était voulu d'avoir été malhonnête avec lui. Puis elle avait décidé qu'obtenir son doctorat était plus important, et fait une croix sur tout ce qui avait attrait au plan relationnel.
« Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant que tu es ici ? Demanda-t-elle.
-Je n’en sais rien. » Lenowe fit non de la tête et mis ses mains sur ses épaules. Il crut un instant qu’elle allait le mordre, puis elle tourna la tête et fixa le parquet en chêne.
« Est-ce que ça a un sens ? demanda-t-elle . La question n’était pas particulièrement adressée à Lenowe. Il lui redemanda ce qu'elle entendait par là.
-Toi et...moi » souffla-t-elle. Ce genre de conversations absurde et niais au possible lui donnait envie de se jeter par la fenêtre.
« Ça n’en a jamais eu, et ça n’en aura pas. Je ne me suis jamais projeté dans quoi que ce soit. Toi non plus. Alors continuons comme ça, si c’est ça ton problème. Moi je m'en fous."
Sa main glacée s'insinua dans le col de son gros pull irlandais en laine noire; il devinait sous ses doigts la cicatrice qui courait sur le haut de sa clavicule, à quelques centimètres de la carotide. Elle releva la tête, l'air blasé, et le toisa, les lèvres pincées. Il la sentait crispée, nouée, plus qu'avant, et il doutait que sa présence seule en soit la cause.
"Eh, détends-toi un peu" lui chuchota-t-il en lui massant doucement les épaules. Elle ferma les yeux et se concentra sur le mouvement de chacune de ses phalanges qui lui broyaient le haut des omoplates. Transie, elle cessa de bouger, et resta légèrement penchée en avant. Lenowe posa son menton sur sa tête.
"Tu m'as tellement manqué..." Murmura-t-il. Elle ne répondit pas, amorphe, puis après une quinzaine de secondes, se recula dans le fond de sa chaise, levant ses yeux mi-clos vers lui. Son calme n'était qu'une apparence; il devinait à ses mâchoires serrées et sa lèvre inférieure qui ne cessait de tressauter et qu'il fixait avec insistance qu'elle prenait sur elle pour se retenir de lui brailler un "Mais putain, tu vas faire ça pendant longtemps?"
Une voiture de police aux sirènes hurlantes passa soudain dans la rue en contrebas et les fit sursauter. Puis ils revinrent à leur mutisme. Lenowe resta la bouche entrouverte, le regard dans le vide. Ziva soupira d'agacement et prit son visage entre ses mains, le forçant à la regarder droit dans les yeux.
"Quel est ton problème? Lui demanda-t-elle sur un ton qui ne lui donnait guère la possibilité de ne pas répondre. Elle était déroutée par son comportement, comme s'il osait à peine lui parler ou la toucher, ou qu'il attendait quelque chose qui ne se présenterait pas comme prévu.
"Il n'y en a pas" assura-t-il. Son accent qui réapparaissait sournoisement et son regard fuyant le trahissaient toujours lorsqu'il était déstabilisé. Elle rapprocha son visage du sien et appuya l'arête de son nez contre la sienne.
"Je ne te crois pas. Mais c'est pas grave". Elle sentait son souffle irrégulier balayer ses joues et son rythme cardiaque augmenter en même temps que le sien.
"Je sais ce que tu attends. Vas-y. Fais-le." Murmura-t-elle d'une voix plus grave que d'habitude. Lenowe passa sa main dans la chevelure cuivrée de Ziva et inspira profondément, fermant les yeux, puis après un moment de ce qu'elle perçut comme de l'hésitation, joint ses lèvres aux siennes et l'embrassa presque avec violence, comme il l'avait rarement fait. Elle l'encouragea à continuer de plus belle jusqu'à ce qu'il la lâche, le souffle coupé. Il se rendit compte au goût douceâtre et métallique remplissant sa bouche qu'elle l'avait mordu. Intentionnellement.
"Wow, s'exclama-t-elle. Tu n'avais pas besoin de faire l'effarouché, ni de te comporter comme ça."
Cette fois encore, il ne savait pas si c'était un reproche de sa part. Il lui semblait bien que oui.
"Je..." Il ouvrit la bouche, essaya de trouver quelque chose à lui répondre, mais avant qu'il ne put dire un seul mot de plus, elle lui proposa avec grande subtilité d'aller visiter la chambre.
Le soleil avait disparu derrière l'immeuble voisin, plongeant l'appartement dans la pénombre. Se tenant dévêtue dans l'embrasure de la porte, elle contemplait ses cheveux flavescents étalés sur l'oreiller noir et le serpent Jörmundgandr dans son dos qui semblait la fixer, dont seule la tête dépassait du drap froissé dans lequel il s'était enroulé. Elle traversa la chambre, le bruit de ses pas sur le parquet étouffé par le tapis qui occupait presque toute la surface de la pièce, et retourna dans le lit.
"Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant? lui demanda Ziva
-Rester ici dans ce lit et... peut-être remettre ce qu'on a fait tout à l'heure, sourit Lenowe
-Ouais, bonne idée. Mais non. Je veux dire... après.
-J'en sais rien, je verrai plus tard, grogna-t-il.
-Je devais aller acheter à manger" dit-elle en se relevant brusquement. "Viens, on va faire un tour dehors.
-Quoi? Non, reste ici..." Il essaya de l'empêcher de partir en la retenant par le bras, mais elle se libéra quand même et lui balança son sweat qui traînait par terre.
"Allez, débout."
Elle réussit à le tirer dehors, et ils marchèrent sans but sur les bords de la Tamise après que Lenowe l'ait convaincue de commander à manger ou de trouver un petit restaurant indien plutôt que de prendre la peine de préparer le repas. Le vent était glacial et la lumière blanche qui filtrait à travers les nuages était aveuglante. A cette heure, et en plein milieu de la semaine, ils ne croisèrent que quelques courageux faisant leur séance de sport quotidienne au milieu de la ville polluée ou des adolescents en uniforme sortant de cours.
"Jana m'a invitée à son concert l'autre jour, quand son groupe est passé par ici" dit machinalement Ziva. "Ils en ont fait du chemin depuis la fois où on l'avait vue à Bridgeport.
-Je te déteste." La taquina t-il. Puis il se remémora la semaine qu'il avait passée avec elle à Bridgeport, la première fois qu'ils avaient réellement passé plus d'une journée tous les deux. L'histoire avait plutôt mal terminé, comme à chaque fois... mais celle-ci avait été conclue par une tentative de meurtre et une douloureuse rencontre avec deux femmes à qui il n'aurait jamais dû parler, ce qui les aurait empêchées d'atterrir dans son lit.
"Jusqu'où tu as l'intention d'aller?" Lui demanda-t-il, les mains dans les poches.
"Il y a un parc à Battersea, pas très loin." Il n'avait jamais douté de son sens aiguisé de l'orientation, mais en ce qui concernait son évaluation des distances, c'était une autre histoire. Par "pas très loin", elle pouvait vouloir dire quelques centaines de mètres comme deux kilomètres.
Au bout d'un moment, elle s'arrêta net et s'assit sur un parapet en soufflant bruyamment.
"J'en ai marre de marcher" renâcla-t-elle pour se justifier, observant l'eau défiler lentement derrière elle. Lenowe ne dit rien, les bras croisés, et regarda nerveusement de gauche à droite. Sur l'autre rive, il n'y avait que des arbres verdoyants, derrière lesquels se cachaient de ravissantes maisons géorgiennes en brique rouge et aux fenêtres blanches. Le parc était quasiment désert, et les bruits de la ville ne semblaient être qu'un bourdonnement lointain, masqué par le bruissement du vent dans les feuilles et les piaillements sporadiques d'un oiseau qui passait par là.
Il commença à piétiner sur place, se balançant d'un côté à un autre. Ziva n'y prêta pas attention.
"Ziva?"
Elle leva la tête, interpellée par son intonation étranglée. Il prononçait toujours son prénom d'une façon étrange, comme s'il mettait un c à la place du z, mais ça n'était pas ça qui la perturbait.
"Je... Uh..." Balbutia-t-il en regardant son pied droit jouer avec un caillou, toujours les mains enfoncées dans les poches de sa veste.
"Oui?" Bâilla-t-elle.
Il se baissa et s'assit juste à côté d'elle, et prit sa main froide et rêche dans la sienne, tout aussi glacée et moite. Elle fut surprise par ce geste tout à fait inhabituel venant de lui, et remarqua qu'il tremblait presque imperceptiblement. Interloquée, elle tourna la tête vers lui. Les lacets de ses chaussures n'avaient pourtant rien de particulièrement fascinant. Un vélo passa devant eux. A en juger par le regard que le cycliste leur jeta, il devait leur trouver quelque chose de pathétique. Lenowe regarda furtivement autour de lui. Il n'y avait toujours personne.
"Je voudrais savoir quelque chose..." A l'entendre parler, Ziva eut l'impression qu'il n'avait jamais passé ses quinze dernières années à imiter plus ou moins parfaitement la façon de parler de ses nouveaux concitoyens. Elle fronça involontairement les sourcils, voyant le trouble arriver, comme quand quelqu'un lui demandait un service derrière lequel tout et n'importe quoi pouvait se cacher.
"Vas-y, pose ta question." Elle détestait quand il commençait à tourner autour du pot. Il se tourna vers elle, sans vraiment la regarder en face. Le rayon de soleil qui lui tombait dessus et l'éblouissait rendait ses yeux presque translucides, deux glaçons brûlants dont il était impossible de se détacher.
"J'ai quelque chose pour toi" dit-il en explorant les tréfonds de sa poche. Il n'a pas intérêt à jouer aux devinettes, pensa-t-elle.
"Jävla skrin!" Brailla-t-il. Ennuyée, elle baissa les yeux et le vit se battre avec un objet qu'il dissimulait entre ses mains et qu'il n'arrivait visiblement pas à ouvrir.
"Ziva Hendrickson Lenoir..." Commença-t-il sans aucune conviction. Ziva, médusée, dut se retenir de rire quand il ouvrit l'écrin noir qu'il avait enfin réussir à ouvrir.
"...veux-tu devenir ma femme?"
Elle ne regarda même pas la bague sur le coussin de velours, un anneau en or jaune surmonté d'une pierre d'ambre de la Baltique entourée de minuscules diamants, parfaitement assortie à ses mains fines et dorées. Attendant sa réaction, il blêmit, et regretta immédiatement ce qu'il venait de faire. Il avait déjà été marié, et parmi toutes les mauvaises idées qu'il avait eues, celle-ci avait été l'une des pires. A la différence près qu'il ne voulait pas que cette femme-ci se volatiliser. Il ne voulait pas l'attraper, la posséder, mais établir un lien indéfectible entre eux lui donnerait au moins l'illusion qu’elle resterait à ses côtés.
Le bruit de la boîte que Ziva referma d'un coup sec et repoussa vers lui se découpa nettement dans le silence environnant.
"Non. Je suis désolée. Je ne veux pas."
[Un peu de musique?]