[Nouvelle] Mécanique du dernier instant

Mon nom est Jonathan Parker, j'ai vingt-cinq ans depuis peu et je fais partie de cette catégorie de personnes qui croient dur comme fer au destin. Selon moi, tout a été écrit et nous ne sommes que de simples marionnettes obéissant aux ordres d'une mystérieuse entité. Je ne saurais expliquer pourquoi j'ai foi en cette explication, peut-être que, d'un côté, ça me rassure.

Peut-être que de me dire que mes actes, même les plus sombres et les plus ennuyeux, ne sont en aucune raison provoqués par mon unique volonté, constitue à mes yeux une part de sécurité. Ainsi, toute ma vie a déjà été rédigée du début jusqu'à la fin. C'est ce que je me suis dis lorsque j'étais allongé de tout mon long sur le brancard des urgences, des dizaines de regards apeurés rivés en ma direction et des voix lointaines dont je ne distinguais que des murmures. Un fort mélange bicolore agressait mes pupilles et me contraignais à plisser des yeux, j'en déduisis que les voitures de police garées de-ci de-là de la route en étaient la cause.

Dans un ultime effort, je parvins à trouver le courage de tourner la tête et d'observer une dernière fois ce visage que je connaissais par coeur, ces traits si magnifiques qui étaient devenus ma raison d'être. A cet instant, ils me parurent étrangement tristes, ils étaient comme enveloppés dans une peur atroce et baignaient dans des larmes coulant à flots. Je compris que la faute était mienne, si ma meilleure amie était secouée sans répit de sanglots c'était parce que je me retrouvais allongé là, impuissant. Tout au moins autant qu'elle. Je sentis une pression sur mon bras droit et un homme donna des tâches à chaque personne l'entourant. Une sorte de sifflement perpétuel résonnait dans mes oreilles.

Ma gorge se resserra d'un seul coup, je n'eus même plus la force de déglutir. Une personne dont le visage m'apparaissait flou déboutonna d'un coup sec ma chemise ensanglantée et déposa sur mon buste un appareil métallique d'une infinie froideur. Elle prononça un nombre, un autre visage acquiesça et mon corps se souleva dans une violente friction. J'entendis des hurlements provenir de ma meilleure amie. Elle n'avait pourtant pas à s'en faire, j'allais bien. Des mains jointes appuyaient à répétitions sur ma poitrine, la douleur était insoutenable. Je me sentais faible.

Le geste se répéta à plusieurs reprises, visiblement sans grand succès. Ma vision devint de plus en plus trouble et j'avais cette désagréable sensation de me détacher de mon enveloppe corporelle. Comme si tous mes membres se séparaient les uns des autres. Des bruits de talons retentirent, j'aperçus les traits du visage de ma meilleure amie, rendus grossiers par ma piètre vision. Je sentis mes paupières s'alourdirent et mon rythme cardiaque se faire moins rapide, j'étais en train de défaillir. Des pleurs. J'entendis quelques cris d'effroi, dans le lointain. Est-ce comme cela que tout se termine ? Le clap de fin retentit-il de la sorte ? Tout cela à cause d'une espèce de connard qui est rentré dans ma voiture ? Ma meilleure amie prit ma main droite au creux des siennes, me conjurant de tenir bon. Elle n'avait pourtant pas à s'en faire, j'allais bien.

Et soudainement, plus rien. Le noir fit finalement abstraction de tout le reste. Mon coeur cessa de battre, ma tête me fit ressentir pour la toute dernière fois une sorte de vertige puissant. Pause. Dernier regard.

STOP.