[Marjolaine et franabisen] Une chanson

J’adore être confortablement installé dans mon lit, le nez dans l’odeur de lessive des couvertures. Les bruits de la maison me rassurent. Grincements, glougloutements de l’eau dans les tuyaux pour arriver au chauffage… Ces bruits resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

Une douce torpeur m’envahit peu à peu, me permettant d’accéder à cette troisième dimension où la solitude règne, entre rêve et réalité, dans un univers moite et cotonneux.

Frrrr...frrr….frrrr

Qu’est-ce que c’est ?! Je me dresse d’un coup sur mon matelas.

Deux formes blanches ondulent dans la pénombre. Dansent autour de la bouche béante de la porte fenêtre ouverte. Des...fantômes ?! Je cligne des yeux.

Ce sont juste les rideaux secoués par le vent; pourtant je ne me souvenais pas avoir ouvert ma fenêtre. Je me lève et la clos, puis cours retrouver avec béatitude la chaleur de mon lit.

DRRRRRRRRRRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIINGGG !

Mais ce n’est pas possible ! Je veux juste dormir moi ! Fichu téléphone… Je me rue dessus pour décrocher, agacé.

“Allô ?”

Seule une respiration sifflante me répond.

“Allô ?!”

Je m’apprête à raccrocher quand une voix rauque souffle : “Tu seras le dîner de l’homme araignée ce soir…”

Encore un canular téléphonique. L’horrible voix reprend, en anglais cette fois.

“The spiderman is having you for dinner tonight...”

C’est bizarre, il me semble avoir déjà entendu cette phrase quelque part. Je raccroche au nez du plaisantard en réprimant un frisson.

M’approche de la fenêtre. Le soleil se couche à peine, pourtant il est vingt-deux heures. Je plisse les yeux : en face, sur les toits, une silhouette aux longues jambes court.

Pff, n’importe quoi, je suis tellement fatigué que ma vision me joue des tours. D’ailleurs, il n’y a plus personne sur les toits maintenant.

Je me blottis au creux de ma couette, comme pour me protéger de monstres invisibles.


Clic. Clic. Clic. Clic.

A peine me suis-je rendormi que des petits bruits me réveille. Je tourne la tête.
Mais c’est quoi ce délire ?! Quelqu’un lance des petits cailloux contre ma fenêtre ! Ce n’est pas possible, je rêve. Enfin, je cauchemarde.

Un petit coulis se glisse dans mon alcôve. Mu par une irrésistible force, je me lève.
Une silhouette noire se tient dans l’encadrement de la fenêtre qui s'ouvre en grinçant. Je n’esquisse pas un geste, pétrifié.

Elle entre, éclairée dans le dos par le soleil couchant; son ombre se découpe sur le sol, bras et jambes démesurés.

On candystripe legs the spiderman comes
Softly through the shadow of the evening sun
Stealing past the windows of the blissfully dead
Looking for the victim shivering in bed
Searching out fear in the gathering gloom and
Suddenly!
A movement in the corner of the room!
And there is nothing I can do
When I realise with fright
That the spiderman is having me for dinner tonight!



Je recule d’un pas.

PAM. J’ai heurté la table de chevet.

- Qui êtes vous ?! crié-je

Les dents de la sombre apparition luisent dans l’ombre.

- L’homme araignée… The spiderman...

Je reconnais sa voix. C’est lui qui m’a téléphoné tout à l’heure ! Ce n’était donc pas une mauvaise blague !...

Il rit, d’un rire terrifiant et guttural, puis secoue la tête. Aussitôt débute un phénomène terrifiant : de sous ses pieds des dizaines et des dizaines d’araignées s’échappent. Enormes, elles se multiplient à une vitesse impressionnante. Je sautille sur place avec dégoût, écrasant par la même occasion la vermine qui s’approche de plus en plus du lit; car à présent puces, cafards et autres bestioles réjouissantes se joignent aux nombreuses arachnides. Un scorpion luisant tente d’escalader mon pied, je le chasse en hurlant, et l’homme rit, rit, rit…

Quietly he laughs and shaking his head
Creeps closer now
Closer to the foot of the bed

Je grimpe sur le lit, tétanisé. Il s’approche tandis que la masse grouillante s’écarte, telle la Mer Rouge devant Moïse.

Il se penche au dessus de moi. J’ai un mouvement de répulsion en découvrant que ses bras sont en fait d’immondes pattes poilues...son visage m’apparaît enfin. Il plonge ses yeux dans les miens... des yeux déments emplis d’une lueur de folie, presque exhorbités, au blanc immaculé. Ses lèvres rouges se plissent en un sourire sardonique. Avec une rapidité fulgurante, il enserre mes bras à l’aide des siens, plantant ses griffes dans ma peau.

Je perds pied. Rêve et réalité ne font plus qu’un dans ma terreur.

Je remue comme un beau diable, donne coup de pieds, de genoux...mais plus je bouge et plus je m’englue dans une surface collante. Un fil de soie qui me retient prisonnier, toile visqueuse qui m’entoure inexorablement. Glaciales et poilues, ses pattes éraflent cruellement ma peau, me paralysent de peur en parcourant mon corps.

And softer than shadow and quicker than flies
His arms are all around me and his tongue in my eyes


L’homme-araignée me regarde dans les yeux, tire une langue rose et gluante et se lèche les babines. J’ai un geste vers la lumière, je voudrais illuminer la scène, sortir de ce rêve éveillé, de ce cauchemar sans nom, mais je ne peux bouger.

Sa peau blafarde se couvre lentement d’une carapace couleur obsidienne, une fourrure sombre entoure bientôt ses yeux brillants d’un éclat malsain.

De sa bouche entrouverte qui n’en est plus vraiment une coule un fil collant. Il agrandit sans cesse mon cocon mortuaire. Je suis la proie prise dans la toile. Il souffle :

“Be still be calm be quiet now my precious boy
Don't struggle like that or I will only love you more
For it's much too late to get away or turn on the light
The spiderman is having you for dinner tonight”

Il est devenu araîgnée. Entre ses pattes il m’enserre, commence l’absorption de mes jambes.

Je ne veux pas mourir ! Moi qui pensait que cela n’existait que dans les films… Moi qui pensait que le surnaturel n’existait pas…

And I feel like I'm being eaten
By a thousand million shivering furry holes


La fourrure étrange griffe ma peau, mes cuisses disparaissent bientôt dans sa gueule affamée. NON ! NON !

Le ventre. Le torse. Les épaules. Je n’ai plus que mes yeux pour contempler le plafond et ma bouche pour crier.

Je n’ai pas le temps de le faire.

Il m’avale.


And I know that in the morning I will wake up
In the shivering cold

And the spiderman is always hungry…

J’ouvre les yeux. Mon corps tremblant est recouvert d’une sueur moite. Mon coeur bat à cent à l’heure dans ma poitrine, comme un canari affolé qui voudrait sortir de sa cage. Le sang bat dans mes oreilles, mais je suis vivant. Vivant ! L’homme araignée n’était qu’un rêve ! Je regarde mes côtes se soulever telles d’étranges élytres, suivant le rythme de ma respiration confuse.

Je sors de mon lit dans le froid matinal, éteins nerveusement le radio-réveil. Mon rêve vient de là : il passait “Lullaby”, the Cure !... Rien qu’un mauvais rêve…

Je me fige soudain.

Une toile d’une précision arachnéenne, brillant des gouttes de rosée qui y sont suspendues, là, devant moi, sur la fenêtre.