[Lehanna & pomme-kiwi] Le jour où ma vie a basculé

Je m'en souviens comme d’hier. C’était un matin, au printemps. Il faisait beau, le soleil brillait mais il faisait un peu froid, parce qu’on était encore au mois de mars. Les premières fleurs poussaient dans le jardin, les tulipes jaunes qu’Allison avait plantées partout notamment. Allison, c’est ma grande sœur, elle adore jardiner. Je prenais mon petit déjeuner sur la terrasse qui est toujours au soleil le matin, quand le téléphone sauna. C’était un homme à l’accent du sud qui parlait beaucoup trop vite s’exclamait que j’étais formidable. Après lui avoir redemandé deux fois ce qu’il voulait exactement, j’ai même failli lui raccrocher au nez, je compris qu’il avait vu la vidéo que Marc avait faite la semaine d’avant pour ma dernière chanson. Il l’avait vu, il l’adorait, il voulait faire de moi une star.
J’avais 18 ans et j’adorais chanter et jouer de la guitare, j’y passais tout mon temps libre. Marc, c’était mon meilleur ami et il voulait se lancer dans le cinéma, il faisait quelques vidéos de mes chansons qu’on postait sur Youtube. Les gens aimaient bien, mais à ce moment-là, il n’y avait que quelques milliers de personnes qui avaient vu mes vidéos et les gens du coin, qui venaient parfois me voir en concert dans les petits bars de la région. Autant vous dire que cet appel, c’était mon rêve. Le Rêve. Celui auquel on met une majuscule au début, parce que rien ne pouvait être plus beau. Je ressentais à la fois une excitation intense, un bonheur profond, une certaine peur aussi, de ne pas être à la hauteur… Mais j’allais pouvoir vivre de ma passion. Ma vie allait changer.
Et elle changea, presque aussi vite que l’on peut se l’imaginer à cette âge-là. Tout alla très vite, presque trop vite pour que je réalise, un disque, vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, des clips aux budgets faramineux, puis des concerts à guichet fermé dans les plus grandes villes du monde. Vous vous imaginez ce que c’est que de faire un concert au Madison Square Garden ? De faire partie des artistes jouent à Coachella ? Ca fait tourner la tête.
J’étais devenue une star. Ma vie était celle que toutes les jeunes filles du monde rêvent. C’était comme dans un film. Je faisais ce que j’aimais, j’étais connue, des fans m’arrêtaient dans la rue pour me prendre en photo ou me faire signer des autographes, je passais à la télé, j’étais habillée par des créateurs. J’avais tout pour être heureuse.
Kate pris sa respiration et relava les yeux qu’elle avait rivés sur le sol depuis qu’elle avait pris la parole. Elle regarda les gens qui l’entouraient tous un par un. Elle ne les connaissait pas vraiment, mais ils commençaient à être familiers, des visages presque amicaux, comme elle n’en avait pas vus depuis longtemps et qu’elle voyait maintenant depuis 23 jours.
Elle fini son tour par Patrick, l’homme grand et massif qui l’avait accueilli quand elle était arrivée au centre. Son visage était impassible comme à chaque fois que l’un d’entre eux prenait la parole. Après quelques instants qu’elle passa à le dévisager son visage s’adoucis, ce que la jeune femme pris comme un signe d’encouragement. Non sans mal, elle continua :
Vous connaissez le film Requiem for a Dream ? J’adorais ce film quand j’étais au lycée. Ma vie, c’est ça. J’ai de la chance, on ne m’a pas coupé un bras, ni jetée en prison. N’empêche, j’ai tout pour moi mais je n’ai plus rien, je suis prise au piège et j’étouffe. Sauf que ça, je peux pas le dire. Quand t’a tout ce que j’ai, quand tu penses à toutes celles qui tueraient pour être à ma place, et quand en plus, tu ne sais pas vraiment ce qui ne va pas, t’es juste pas bien, mais tu te dis que ça va passer, t’as pas le droit de te plaindre.
Une larme coula sur le visage de Kate :
Mais je ne savais plus quoi faire, j’étais pas bien, donc quand un des managers m’a proposé de me détendre, et de partager sa dose, j’ai accepté. C’était cool donc j’ai recommencé. Je me sentais mieux et je pouvais boire toute la nuit sans avoir mal au ventre. Ca allait mieux. Et puis c’est devenu pire. J’arrivais plus à m’arrêter et j’avais personne.
A ce moment-là, la jeune femme éclata en sanglots. Patrick regarda sa montre et remercia Kate d’avoir enfin décidé à s’ouvrir. C’était un gros progrès disait-il, avec sa voix rassurante. Les autres membres du groupe l’encouragèrent à leur tour et chacun regagna sa chambre. C’était l’heure du passage des infirmières.