Des ballons ! Des cadeaux ! Un ENORME gâteau au chocolat ! Moi la petite nouvelle, j'avais été invitée à l'anniversaire de Tanna. Je n'en revenais toujours pas ! Quelle chance ! Après le déballage des cadeaux, nous attaquâmes le gâteau. Je le mangeai de bon appétit. Il était moelleux et fondait sous la langue. C'était un délice !
-Eh, regardez un peu la goinfre les filles !
Je tournai la tête en entendant la voix inconnue, et vit Carine et ses copines. Je ne la connaissais que de vue. Heureusement pour moi, car elle avait la réputation d'être une langue de vipère.
-Lâche-moi Carine. Je ne te connais pas, tu ne me connais pas, alors laisse-moi tranquille.
- Pfff ! me lança-t-elle avec ce ton mondain qui me déplu instantanément. Oh, mais regarde, tu t'es toute salie !
Je regardai ma robe. Aucune tâche.
-N'importe quoi !
Je finis ma part de gâteau et tournai les talons. Comment Tanna avait-elle pu inviter Carine? Mystère... J'allai vers la reine de la fête et ses amies. Ce que j'entendis me pétrifia :
-Comment t'as pu inviter Kathleen ?
-J'ai convié toute la classe alors je devais forcément l'inviter ! En plus c'est ma mère qui m'a obligée ! Tu ne crois pas que pour mes 9 ans je l'aurai invitée ! répondit Tanna.
-Tu me rassures ! lança Eve.
-En plus, t'as vu le cadeau qu'elle t'a offert ! Minable ! renchérit Christina.
Je sentis les larmes me monter aux yeux. C'était une très belle poupée en porcelaine qui avait coûté très cher. J'avais pourtant voulu lui faire plaisir !
Peu après, nous allâmes jouer avec les cadeaux de Tanna. Comme je restais seule dans mon coin à me remémorer ce qui c'était passé, elle vint me voir et me dit :
-Eh, Kathleen, ne reste pas toute seule, viens jouer !
Etant donné que je ne répondais pas, elle insista. Elle n'aurait pas dû.
-Non, ça va aller. Tous les meilleurs cadeaux sont pris. Et puis, mon cadeau est minable, alors non je ne veux pas jouer avec, tu comprends ? répondis-je avec un petit ton ironique.
La pauvre Tanna rosis.
-Je ne sais pas qui t'as dit ça, mais moi, je ne le pense pas.
-Ah oui ?. Mais, tu sais, te forcer pour m'inviter n'était pas la peine.
Elle allait répliquer quelque chose mais je ne lui en laissai pas le temps. Elle m'avait blessée.
-Tu sais quoi ? Je crois que mon cadeau minable et moi allons prendre le chemin du retour.
Tanna rougit et je vis qu'elle avait les larmes aux yeux. Elle n'avait sûrement pas l'habitude qu'on lui parle ainsi. Elle, que tout le monde considérait comme la fille la plus gentille de l'école. Je crus qu'elle allait fondre en larmes devant moi. Elle me répliqua, les larmes enrouant sa gorge :
-Tu sais Kathleen, je t'aime bien moi. Je ne te connais pas vraiment mais dès le début, tu m'as paru adorable. C'est  pour ça que je t'ai invité. J'ai juste dis ça à mes amies pour qu'elles laissent tomber.
-Tu m'as parue très convaincante. Mais ne t'inquiète pas, je reste jusqu'à la fin de ton anniv' et tu me reverras plus jamais.
-Mais Kathleen...
-Laisse tomber, j'ai compris.
Je m'assis contre un mur et restais là, à fixer les filles qui jouaient avec les cadeaux, qui mangeaient ou qui s'amusaient avec les ballons de baudruches. Tanna repartit, sa belle chevelure dorée flottant au vent.
Ses beaux yeux vert émeraude brillaient de colère et de tristesse.
Colère que je devinais contre ses amies et moi, mais plus contre ses amies.
Tristesse.
Je n'aurai su dire pourquoi. J'étais encore trop petite pour comprendre cela. Je ne voyais, ou plutôt "ne sentais", que la fureur qui faisait étinceler mes yeux noisette.

Quarante 
Hélène examine ses rides, les fines ridules aux coins de ses yeux, les moins fines qui parcourent son front. Dans le salon, son époux maugrée en redressant les derniers détails du buffet. Impossible de sortir de cette salle de bain. Quarante ans, deux gamins, une maison pas encore payée. Un mari fidèle... Comment Eric pourrait -il être infidèle ? Il faudrait qu'une vie intime l'intéresse encore. 

Elle n'est peut être plus assez belle. Peut être juste trop vieille. Quarante ans.
Eric n'en a que trente huit.

La sonnette retentit, trois coup vigoureux. Ce doit être le cousin Jérôme. Malgré tous ses efforts, Hélène n'a pu empêcher Eric de l'inviter. D'ailleurs, malgré tout ses efforts, cette fête d'anniversaire aura bien lieu «  Pour tes quarante ans, chérie, on ne peut pas ne rien faire ! ». Hélène aurait voulu s'enfuir, se réfugier très loin . Elle va devoir faire face. Elle sort de la salle de bain.

Petit à petit, les invités arrivent, la saluent «Bonjour ma vieille ! On ne te donnerait pas ton âge ! ». Le cousin Jérôme ne s'embarrasse pas de subtilités : « Alors, t'a atteint la date limite de consommation ? Faut qu'Eric se trouve une jeunette maintenant ! Meuh non, je plaisante ! Tu vas nous la jouer victorieuse, dominatrice, cougar, toi, t'es pas du genre à te laisser aller ! »

Hélène le regarde, interdite. Pas du genre à se laisser aller à l'annonce d'un deuil, d'une maladie.... D'un licenciement.... La quarantaine...

Le gâteau, cette avalanche de bougies qu'elle ne veut pas voir. Les applaudissements, le champagne. 
Elle s'efforce de sourire, de répondre des boutades à ses invités. Glisse sur les remarques mesquines de ses sœurs. 

Son fils se glisse vers la porte, elle l'intercepte au passage. 
« Tu vas où ? »
Le gamin marmonne, elle n'arrive pas à y croire, il doit répéter. 
« Les bougies sont soufflées, Maman, maintenant je peux aller avec mes potes à une vraie fête .
« Une vraie fête ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Parce qu'ici, avec tout le monde, ce n'est pas une fête, peut-être ?
« Si, mais c'est une fête entre vous, quoi. Que de la musique de vieux... »
« QUOI ! »
Hélène n'a même pas le temps de finir de s'énerver que déjà Eric intervient :
« Laisse le filer, c'est de son âge de sortir avec les copains. On faisait pareil, non ? »

Garder son calme. Surtout garder son calme. Ne pas rappeler à Eric qu'à l'âge de son fils, elle ne sortait pas de chez elle sans l'autorisation de ses parents, sans les avoir prévenu une semaine à l'avance.

Le champagne. Encore. Et les cadeaux. Des trucs nunuches, comme ses invités. Et le comble. De la crème anti-rides. De l'ANTI-RIDES comme cadeau d'anniversaire. Trop, c'est trop. Elle regarde qui le lui a offert, n'en croit pas ses yeux. Eric. Son propre mari.

« De l'anti-rides ? Est-ce que je t'offre de l'anti-bide, à toi ? Tu en aurais pourtant bien besoin, monsieur rillettes-bière-télé ! »

Les invités rient, croyant à une plaisanterie. Seule sa fille s'éclipse. Elle a compris, elle.

Hélène ne se contrôle plus. Sa colère, sa frustration de ces seize d'un mariage mou, de sa vie monotone, médiocre, éclatent. Enfin. Comme une libération. Tout ce qu'elle ressentait depuis des mois sort enfin.

« Et vous vous trouvez drôles, tous autant que vous êtes ? Vous vous êtes vus ? Les copains d'hier, marrants et plein de vie ? Aujourd'hui, vous ressembles à un gros tas de limaces ! » 
« Fichez moi le camp ! Tous ! Et pour toi Eric, j'ai aussi un beau cadeau : ça ! »

D'un geste rageur, Hélène lui balance son alliance au visage. Part en claquant la porte. Ce soir, elle dormira à l'hôtel. Demain, elle ira voir un avocat, pour le divorce. Quarante ans, vieille ? L'âge de son renouveau, oui !