[maeleo & Lallypop] L'animalerie

Je m’avance doucement. On m’a ouvert la porte pour me faciliter les choses. Je n’ai absolument aucune idée de l’endroit où je me trouve, c’est une surprise m’avaient dit mes parents. Sauf que je n’aime pas ne pas savoir où je suis. C’est plus dur pour moi de m’orienter.

J’entends la porte se refermer derrière moi en un petit claquement que personne d’autre ne peut entendre. J’aime bien ça, vu que je ne peux pas voir, il paraît que mes autres sens sont plus sensibles… Alors j’entends mieux, je sens mieux, je sens mieux les choses sous mes doigts, je… Zut ! Je n’arrive jamais à me souvenir du dernier. Pourtant, maman me l’a dit des centaines de fois. Un jour je m’en souviendrai et je pourrai les dire les cinq à la suite sans hésiter !

L’odeur est forte dans la pièce. Je suis pas bête, ils ont oublié que je sentais mieux, et cette odeur, je la reconnais, c’est facile. Et tous ces bruits que j’entends en arrière son. Je me gâche moi-même mes surprises. De toute façon, j’aime pas les surprises. Mais je vais faire semblant d’être étonnée, pour qu’ils soient contents. Ils aiment bien quand je fais semblant d’être contente, ils ont l’impression que je suis heureuse, parce qu’ils croient que je ne le suis pas, je sais qu’ils pensent que je ne suis pas normale. Je ne le suis pas, c’est vrai. Mais pourquoi ça m’empêcherait d’être heureuse ? Les adultes sont durs à comprendre… On m’a dit un jour que c’est parce qu’ils ne le vivent pas, mon handicap, qu’ils se mettent à ma place et pensent que c’est dur. Mais moi j’ai jamais vu. Alors je suis habituée, c’est pas plus dur que pour les autres.

On me guide vers une autre pièce, un peu plus loin, et là le bruit est clair. Des grattements, des couinements, des piaillements, des souffles chauds, et l’odeur. Ils pensaient me faire une surprise parce que je ne vois rien et que je ne pouvais pas deviner. J’suis pas si bête… Juste aveugle.

Et c’est pour ça qu’on est là.

- Maman, j’ai pas besoin d’un chien, je dis. J’ai ma canne, et même si le docteur dit qu’un chien c’est mieux, moi j’arrive avec la canne !

Mon médecin est bête lui aussi. Il pense qu’un chien-guide serait mieux pour moi, parce que je suis encore enfant et que c’est plus facile. Qu’est-ce qu’il en sait ? Il a jamais été enfant aveugle, il peut pas se mettre à ma place ! J’aime pas quand on se met à ma place.

- On ne vient pas pour un chien, ma chérie, elle me répond en s’accroupissant pour être tout près de mon oreille. Ta canne te va très bien. On vient parce que ton papa et moi on a pensé qu’avoir un ami à quatre pattes te ferait plaisir.

J’ai gâché son plaisir à elle en oubliant d’être surprise. Mais c’est fatiguant aussi, de faire semblant.

Je ne sais pas ce que je veux comme animal, il y en a tellement : chien, chat, tortue, rongeur, oiseau… Je les entends, ils sont tous là. Lequel choisir ? Qui prendre pour être mon seul ami ?

Je sens maman derrière moi qui n’attend que de me voir m’avancer et chercher le compagnon idéal. Alors je m’avance, puisqu’il le faut. Je marche dans le couloir, entouré de cages contenant les animaux. Je sens leur regard sur moi, me suppliant de les adopter. La fin du couloir approche et toujours rien. En même temps, je marche seulement, sans prendre le temps de me demander quel animal se trouve à ma gauche ou à ma droite.

Et puis je le sens. Là, au bout du couloir, je m’avance vers une cage. Dedans se trouve celui que je veux, je le sais. Je l’ai senti, il s’est passé quelque chose en moi, c’était bizarre, mais c’est lui. Je demande ce que c’est au vendeur, il me répond que c’est un petit chaton abandonné par sa mère et ses frères. Différent et abandonné de tous.

Quelques minutes plus tard, il est dans mes bras, dans la voiture qui rentre à la maison. Il a peur, il ne sait pas où il est. Son poil est doux, maman dit qu’il ne l’est pas. Mais moi je le sens mieux que personne. D’ailleurs, elle est pas très contente maman, parce que c’est un chaton peureux et pas très beau. Elle aurait préféré un chien fidèle, qui serait toujours à mes côtés.

Mais je l’ai senti, mon cœur l’a choisi, son cœur m’a appelée. Un garçon dans ma classe se moquait de moi en disant « l’amour est aveugle » et que je pouvais aimer du coup tout le monde. Non, je n’aime pas tout le monde, mais il a raison quand même.

Je n’ai pas eu besoin de voir mon nouvel ami pour l’aimer plus que tout.