[Nina04 et Eulaline] Le Maroc

« Ça y est… je pense que c’est fini…  ne pleure plus Sania… »

Ma petite sœur n’arrête pas de pleurer depuis ce matin. Il faut avouer, les tremblements de la maison et les cris dans la rue ne l’aident pas à trouver le sommeil…
Mais depuis quelques heures, c’est étrange. Plus de bruit, plus de vibration… le silence, le calme… même Sania ne pleure plus et écoute… même s’il n’y a rien à entendre.
Nous attendons, la prochaine bombe qui sera lancée dans le quartier, le prochain soldat qui tirera sur tout ce qui bouge dans la rue. Mais rien.

Aucun bruit.

Malgré tout, Sania s’agite, elle ne comprend pas, et moi non plus. Pourtant je suis un grand garçon ! J’ai eu 8 ans la semaine passée, et maman a dit que comme j’étais grand, je devais défendre quoi qu’il arrive ma petite sœur de 18 mois.
Ma maman, elle travaille dur, elle part très tôt le matin quand il fait très noir, et puis elle revient le soir avec un peu de nourriture. Moi en attendant, je suis le gardien de Sania !

« Allez, dors un peu Sania ! Il faut que j’aille voir ce qu’il se passe… »

Mais impossible de la remettre au lit, … oserais-je sortir avec elle dans la rue ? Oh non ! Pas question… tout  cela est bien trop dangereux ! Depuis que je suis petit, il y a des hommes méchants qui font du mal au gens de mon quartier, alors que nous on est gentil !
Maman me dit que c’est la guerre, et qu’on ne sait rien faire d’autre qu’attendre. Un jour, elle sera finie, c’est juste qu’on ne sait jamais la date précise.

« Ah… elle s’est enfin assoupie… vite ! Sortons discrètement. »

Mon papa est parti au ciel il y a 1 an. Il nous avait dit à Maman, Sania et moi de nous cacher, et d’attendre qu’il revienne… mais il n’est jamais revenu. Maman a été très triste et moi aussi… mais Papa m’avait dit d’être fort. Il m’avait dit que j’étais un homme et que je devais protéger tout le monde.

« Ça fait 5 heures qu’il n’y a plus de bruit… est ce que je devrais sortir ? »

Mmmh, je ne sais pas quoi faire… la nuit ne devrait pas tarder à venir, et Maman qui n’est toujours pas là… oui je vais sortir ! Ce n’est pas normal tout ce … ce silence.
Ma maman, elle travaille dans une grande usine dans la ville d’à côté. C’est dangereux, mais elle dit que je suis trop petit pour travailler. J’aimerais bien ramener des sous et de la nourriture moi aussi… mais ma mission est de veiller sur Sania car elle ne peut pas rester toute seule, elle.

« Personne dans la rue, … pas de soldat, pas de bruit, pas de bombe… rien… »

Je m’avance alors doucement, en me cachant contre les murs, derrière les débris… mais toujours rien… et ce silence si … pesant et doux à la fois !
Tiens… Qui… Il y a quelqu’un qui arrive en courant ! Je le savais … je n’aurais pas dû sortir… Vite, je dois rentrer !

« Nassim !!! »

Qui m’appelle ? Mais… c’est la voix de maman ! Que fait-elle en plein milieu de la rue à courir ainsi à découvert ! Maman ! Fais attention !

« Maman, dépêche-toi de rentrer ! Cache-toi ! C’est dangereux ! »

Mais elle ne m’écoute pas, et continue sa course jusqu’à moi. Je vois à présent des larmes sur son visage, … mais également un sourire. Un grand sourire comme je n’en avais plus vu depuis longtemps !

« Nassim ! Je… Tout est fini ! On est libre »

Elle me serre alors fort dans ses bras, tout en continuant de pleurer…

« Maman, je ne comprends pas, qu’est ce qui est fini ? Le bruit ? »
- Oui, il n’y aura plus de bruit mon chéri, c’est fini… la guerre… elle est finie !
« Quoi ? Mais... comment ! Il y a encore quelques heures, Sania pleurait et les gens criaient… Je… »
- Nassim, grave bien cette date dans ta tête, car elle va changer notre vie ! Nous ne devons plus avoir peur, car tu sais quoi ? L’indépendance est proclamée ! Le Maroc, notre terre… plus de guerre !
« Indépen…quoi ? Je… je ne sais même pas quel jour on est maman… »

-Nous sommes le 2 mars 1956 Nassim, et aujourd’hui la guerre est finie. Où est Sania ?
« Elle s’est enfin endormie… 2 mars 1956… promis, je retiendrai maman ! Mais… tu es sûre ? Plus de bruit ? De cris ?? »
- Promis… Rentrons Nassim. Ça te dirait de regarder ta sœur dormir paisiblement avec moi ? Et peut-être faire un petit somme avec elle ? Tu pourras dormir dans mes bras…
« Mais je suis grand maintenant maman ! … Mais je veux bien, c’est d’accord… Vive l’indépendance !! Vive le 2 mars 1956 ! »