La chasse d'Hugo et Léa
Réflexion de mon frère, Hugo, seize ans, c'est-à-dire deux ans de plus que moi, hier soir:
"Mais 'pa, j'ai passé l'âge des oeufs de Pâques ! J'ai pas envie de passer mon dimanche à retourner les coussins du canapé et à fureter dans le grenier... Pfffff !"
Réflexion de mon frère, ce matin à 8h45:
"Bon, Léa, t'as fini de te pomponner ?! Les parents n'attendent que toi pour lancer la chasse. Dépêche-toi, ils vont fondre les oeufs, là !
- D'abord, je ne me pomponne pas, je me lave ! Ca te dépasse peut-être mais c'est ce qu'on fait dans une salle de bain, généralement. Ensuite, de quelle chasse aux oeufs tu parles ? Je croyais que tu étais trop vieux pour trifouiller dans les toiles d'araignée du grenier. Tu as rajeuni dans la nuit ou quoi ? Et enfin, il ne fait pas assez chaud dans la maison pour que les oeufs fondent, de toute façon.
- Sauf que là, ils sont pas dans la maison ! 'Pa les a planqués dans toute la ville.
- Quoi ????!!!!"
Et c'était parti ! 'Man nous a donné à chacun une liste de dix indices pour nous permettre de localiser dix oeufs en chocolat affublés d d'oreilles de lapin. A peine avait-il lu la première énigme que mon frère a bondi sur ses pieds.
"Cet oeuf se cache dans un endroit propice aux fantômes et aux esprits curieux. Hé, c'est trop facile, c'est au cimetière !
- Mais attends-moi !!!
- Non, soeurette ! C'est chacun pour soi à partir de maintenant. Et chacun garde et mange ce qu'il trouve."
Ni une ni deux, il a enfourché son vélo et est parti en trombe.
Celui-là, j'vous jure ! Dès qu'il y a compétition, il pète un plomb ! Mais, dans ces cas-là, il oublie de réfléchir le plus souvent. Tant mieux parce que, de mon côté, je me doutais bien qu'il n'était pas au cimetière, le premier oeuf-lapin. Et j'avais raison, je l'ai trouvé à la cité des sciences, dans le petit potager expérimental. J'espère qu'ils ne l'ont pas arrosé avec du sang de vampire ou un autre truc de ce style !
Bref, trouver le premier oeuf aussi facilement m'a donné de l'allant et j'ai sauté sur mon vélo pour continuer la chasse.
J'peux dire que j'en ai fait des kilomètres aujourd'hui. Et il y en a des portes auxquelles j'ai dû toquer pour demander à fouiller la maison ou le jardin. Je suis allée chez les Galantome qui s'enthousiasmaient à propos des traditions comme la chasse aux oeufs. Chez les Gothik qui m'ont reçue... euh... à leur manière... chacun comprendra ce que je veux dire. En fait, le plus difficile, ça a été de convaincre Vita Alto de me laisser fureter. Une vraie forteresse, cette maison !
'Pa m'a expliqué après qu'il s'était arrangé avec Nick, le mari de Vita. A mon avis, il a oublié de prévenir sa femme, ce monsieur ! Vita ne m'a pas quittée d'une semelle, un air méfiant collé sur le visage. Heureusement, je n'ai pas eu à monter à l'étage, le lapin se trouvait au rez-de-chaussée, dans le bureau.
Après avoir durement gagné ce quatrième oeuf, j'ai décidé de faire une pause au parc public avant d'aller à la grande plage où se cachait, à mon avis, un autre oeif-lapin car comme le sous-entendait l'énigme, "quel meilleur endroit pour observer cette étendue bleue" que la plage ?
Mais en chemin, j'ai aperçu mon frère qui pédalait comme un fou vers le centre. J'ai forcé l'allure et je l'avais presque rattrapé quand il m'a repérée, au détour d'un virage.
"Tu n'iras pas assez vite, Léa ! L'oeuf-lapin de la plage, il est pour moi !"
Il a accéléré et m'a distancée.
De dépit, je lui ai lancé:
"Ah oui, il est pour toi ? Comme celui du cimetière, tu veux dire ?!"
Je me suis de suite sentie idiote d'avoir dit ça. Mais il a le don de m'énerver, Hugo avec son ton condescendant, parfois !
Ca a été une véritable course. A vélo d'abord. Sur la promenade en bord de plage, ensuite.
Au final, il a été plus rapide que moi. Triomphant, il a entamé une danse de la victoire, me tournant autour et brandissant son lapin en chocolat.
"Mais c'est pas fini !", ai-je crié en repartant aussi sec vers mon vélo.
A vrai dire, je me suis arrêtée un peu plus loin parce que les dernières énigmes me posaient problème. J'ai réfléchi un moment en grignotant le sandwich que 'pa m'avait donné. Puis, j'ai repris ma tournée.
L'après-midi était bien avancé quand j'ai regagné la maison, fourbue, épuisée. Mes parents étaient assis sur la terrasse. Je déposais mon trésor en chocolat sur la table quand Hugo est arrivé.
Et là.... Yes ! Yes ! Yes ! J'ai pu savourer ma victoire ! J'avais six oeufs-lapins ! Et lui, quatre, forcément... J'ai exécuté une magnifique danse de la victoire sous le regard blasé de mon frère.
"Alors, chacun pour soi, frérot ?
- Ben, moi au moins, je ne me réveillerai pas avec une crise de foie demain !"
Les parents ont ri de sa mauvaise foi. Il est terrible Hugo quand même !
"Allez, fais pas la tronche ! Tiens, je te donne un de mes oeufs-lapins ... Cinq chacun ! Comme ça, je me sentirai moins seule avec mon mal de bid' demain..."
Il a ri à son tour et s'est aussitôt jeté sur un oeuf-lapin jaune dont il a croqué goulûment une oreille.
"Allons bon, me suis-je dit, c'est à qui mangera les lapins le plus vite maintenant !"