La fin de l’année 1882 approchait à grand pas, de même que les fêtes de Noël. Les premières neiges tombaient sur la ville et drapaient la cité de blanc, créant une atmosphère polaire. L’arôme épicé du vin chaud et les chants de Noël se chargeaient de réchauffer les cœurs. En ces périodes, les troubles et émeutes entre les immigrants et les New-Yorkais s’étaient apaisées et avaient laissé place à une accalmie passagère. Les nombreuses rues de la ville se mettaient sur leurs trente-et-un et donnaient le signal annonçant l’entrée dans la période des fêtes. Central Park, achevé il y a tous justes dix ans, avait pour l’occasion accueillis les petits chalets du marché de Noël. Les multiples étals présentaient des objets d’artisanat, des lanternes aussi flamboyantes que le soleil, des décorations de toutes sortes, des spécialités culinaires, des douceurs au goût sucré et des boissons chaudes. C’était ici que la bourgeoisie et les ouvriers s’entremêlaient dans l’ambiance chaleureuse des maisonnettes en bois, et dénichaient le cadeau idéal.

On pouvait apercevoir par les fenêtres de chaque foyer que de majestueux conifères avaient investi les salons des New-Yorkais. Grand, petit, rond, carré, lourd, léger… Les cadeaux de Noël installés au pied des sapins, se déployaient dans toutes les couleurs et toutes les formes. Ils recélaient les plus intimes envies, les plus grandes joies et parfois quelques déceptions.
Edward Johnson, rentrait chez lui après avoir fini sa journée à l’Edison Electric Light Company. Il était fier de voir son travail s’illuminer à chaque coin de rue. L’électricité envahissait la ville à une allure folle. Bientôt, la moitié des foyers New-Yorkais ne s’éclairaient plus à la lampe à huile mais avec de petite bulle de verre lumineuse.
En passant la porte d’entrée, Edward découvrit avec un plaisir enfantin les décorations que sa femme Agnès avait méticuleusement aménagées dans leur demeure. Un peu partout dans le salon, des petites coquilles de noix s’éparpillaient sur les meubles. Elles contenaient de l’huile où une fine mèche étincelante flottait. La tradition voulait qu’elles soient accrochées sur les branches du sapin mais les incendies causés par ces coquilles étaient monnaie courante en cette période de l’année. La rumeur disait même qu’en France, il était interdit d’illuminer son sapin de bougie, de peur de réduire en cendre un si beau symbole de fête et de joie. Des lampions en fer forgé fixés aux murs du salon éclairaient la pièce aux couleurs de Noël. Juste à côté de la cheminée où étaient épinglées des chaussettes rouges, un sapin aussi vert qu’une prairie dissimulait la petite montagne de cadeaux. Des boules de verre de toutes les couleurs avaient remplacé les pommes traditionnellement suspendu aux branches. Fabriquée avec un fil de fer doré, une étoile trônait tout en haut du sapin, sur la dernière branche. Lumignons, bougies, cierges, chandelles, la lumière jaillissait de tous les recoins dans une parfaite harmonie visuelle.
Cette abondance d’illumination avait transporté Edward dans le monde magique de Noël. Un cadre parfait pour fêter la naissance du Christ. Cependant, quelque chose le chiffonna. Cet arbre si symbolique, adopté par les chrétiens il y a bien des siècles, dont les feuilles persistantes expriment le renouveau de la vie. Cet arbre, pourtant bien décoré, semblait vide. Mais vide de quoi se demanda l’inventeur. Cette question s’encra dans l’esprit d’Edward comme une tique planté dans le pelage d’un chien.

Le lendemain, la nuit tombait déjà sur la grosse pomme quand Edward sorti de l’usine d’électricité. Il regarda le ciel, contempla les étoiles et leurs scintillements irréguliers. Elles habillaient le ciel de mille lumières. Tout d’un coup, l’inventeur s’arrêta net. Il avait trouvé la réponse à sa question, il allait habiller le sapin de mille lumière comme les étoiles dans le ciel, et surtout sans que le conifère prenne feu. En rentrant chez, il s’empressa de déballer le carton sur la table de la cuisine qu’il avait emprunté à l’usine. Sa femme le regardait du coin de l’œil, on aurait dit un enfant qui avait découvert le trésor enterré au fond du jardin.
Après presqu’une nuit de travail, deux ou trois ampoules brisé au sol et des mètres de fil éparpillés dans la cuisine, Edward ressorti de là avec une guirlande. Mais par n’importe qu’elle guirlande, une qui quand l’électricité la parcours, les quatre-vingt ampoules s’illuminent en un éclair. Une guirlande qui va remplir ce sapin de mille lumières.

En buvant son café matinal, Edward posa ses yeux sur un article paru dans le Detroit Post and Tribun. Un journaliste nommé Croffut, avait écrit un papier sur un drôle de sapin de Noël qu’il avait aperçu.
« Hier soir, je marchais au-delà de la Cinquième Avenue. En passant devant la résidence d’Edward H. Johnson, vice-président de la compagnie d'électricité d'Edison. Là, dans un coin du beau salon, était un grand arbre de Noël tourbillonnant sur lui-même et présentant un aspect plus folklorique et étrange. Il était brillamment éclairé avec plusieurs globes colorés. Quatre-vingts lumières encastrées dans ces œufs de verre, réparties entre blanc, rouge et bleu. Le résultat fut un clignotement continu de danse en couleurs, rouge, blanc, bleu, blanc, rouge, bleu. Cela me rappela que Noël était avant tout la fête de la lumière.»