[Tournoi de battles]Khany et Sundaysims : la liste de mes envies

Dehors, les nuages évoluaient en une masse menaçante. Quelques gouttes de pluie toquaient contre le carreau de la fenêtre et au loin le grondement du tonnerre ronflait. La voix fluette de l’infirmière me fit sortir de ma rêverie, elle m’apportait encore ces pilules de toutes les couleurs. Je ne pense pas que ce soit très bon d’avaler autant de couleurs d’un coup mais apparemment, il était impossible d’y échapper. Tous les matins, elle entrait dans la chambre toujours vêtue de cette blouse d’un vert douteux – qui soit dit en passant ne lui flattait pas le teint – et me demandait comment je me sentais ou si quelque chose m’était revenu en mémoire, tout en sachant que ma réponse serait négative.  En réalité, des brides d’image me revenaient sans arrêt seulement, elles étaient si pitoyables que je les balayais de mon esprit aussi vite que possible.

Tom me rendait visite pratiquement tous les jours. La dernière fois, nous avions beaucoup parlé de nous mais surtout nous avions évoqué de lointains souvenirs, ceux qui n’avaient pas été chassé par l’accident, ceux qui demeuraient encore beaux à regarder. J’aimais beaucoup ces visites et profitais au maximum de chaque minute passée à ses côtés. Elles étaient devenues si précieuses à cause de toutes celles que j’avais jetées par la fenêtre ces dernières années.

D’après les médecins, le choc avait été si brutal que tout ce qui s’est passé depuis vingt ans avait disparu de ma mémoire, comme si j’avais fait un bond dans le futur depuis mes vingt-trois ans. C’est un sentiment très étrange que de découvrir ce qu’était sa vie à travers du papier glacé, des vidéos ou des récits de proche. C’est très effrayant et en même temps, on ne peut s’empêcher de vouloir satisfaire sa curiosité. Seulement voilà, au fur et à mesure que je redécouvrais la mienne, je venais à la détester. Une vie accaparée par le travail, voilà ce qu’elle était en réalité. Une vie monotone, sans gout, sans couleurs, à l’opposé de ces petites pilules multicolores. J’étais dans la fleur de l’âge pourtant, je me sentais comme une vieille femme envahie de regrets qui regarde les meilleures années de sa vie tombées aux oubliettes. Pas d’enfants, un mariage dissous par un divorce mais un énorme compte en banque. Finalement cet accident de voiture m’avait donné une chance de tout recommencer à zéro, il avait tiré la sonnette d’alarme. Très puissante cette alarme, après une semaine passée à l’hôpital, mes nombreuses ecchymoses ne s’étaient pas absolument pas résorber et ma mémoire quant à elle, avait dû définitivement plonger avec ma voiture dans le lac, gobé d’une traite par les abysses. C’était tant mieux, je détestais ce que j’étais devenue, une harpie sauvage les poches bourrés de fric mais le cœur totalement vide.

Par la fenêtre, je voyais la tempête qui s’approchait de la ville mais en regardant au-delà, je voyais aussi un avenir qui n’attendait que moi. Je n’avais plus envie de me souvenir d’avant, cela me fatiguait beaucoup et m’attristait davantage. J’avais envie de voyager, de partir à l’aventure, découvrir la beauté du monde et qui sait, peut-être revenir avec un enfant dans les bras. L’adoption n’avait jamais dérangé Tom, au contraire, c’était même lui qui avait soumis l’idée en premier, juste après notre dernière visite dans une clinique spécialisée dans la fécondité.
Le monde est si grand dehors, il y a tant de chose ou de gens à découvrir plutôt que de s’enfermé dans un bureau, les yeux rivé sur des chiffres. Le plus drôle dans l’histoire, c’est que plus jeune je détestais les chiffres, je voulais même devenir une romancière à succès. Et pourquoi pas le devenir maintenant, pourquoi ne pas raconter mon histoire afin de faire retentir l’alarme chez d’autre personne. Ce sera plus doux qu’une sortie de route mais tout aussi percutant.

Tom sera là vers neuf heures, j’avais tout juste le temps de prendre une douche et de retirer ce pyjama atroce, comment ne pas déprimer dans ce genre de fringue et comment je l’avais autorisé à atterrir dans ma garde-robe. J’avais proposé d’aller se promener un peu, de sortir de cet endroit lugubre, je n’en pouvais plus de rester prostré ici à regarder les jours défilés à  la vitesse d’une tortue. Je voulais faire plein de choses, tellement de choses qu’au final je ne savais plus quoi exactement. Au vu de ce pyjama déprimant, le mieux serait de commencer par faire les boutiques. J’avais envie de fun, de couleur, de spontanéité et de jeter par la fenêtre l’agenda qui réglait ma vie au cordeau.

J’avais envie de redonner une chance à notre couple, nous étions si proches avant, si complice, comment avais-je pu gâcher tout cela, je m’en voulais terriblement. Lui aussi en avait envie, cela se discernait dans ses yeux, il avait même l’impression de retrouver la jeune femme que j’étais autrefois, la belle et pétillante Maggie, celle qui envoyait tout valser quand ça lui chantait. J’avais l’irrésistible envie de me libérer de cette vie merdique qui fût autrefois la mienne, de me débarrasser de tout ce qui avait fait de moi cette femme horrible. De tout sauf Tom, lui j’avais envie de l’embrasser, de le serrer contre moi, sentir sa chaleur, son odeur, écouter ses blagues qui ne faisait rire que moi et de se promener main dans la main sous pluie.

J’avais envie de commencer à vivre, tout simplement. Comme l’avait écrit un jour Molière, les commencements ont des charmes inexprimables et celui-là était particulièrement séduisant