[Linda vs Sucrée] Nouvelle

Il désigna du regard mon bureau sur lequel se trouvait un colis. Je n’eus pas besoin de jeter un œil à l’adresse de l’expéditeur, je savais exactement de ce qu’il s’agissait. Nous savions exactement de ce qu’il s’agissait.

« Très bien, je m’en occupe. »

Sans perdre de temps, je saisis le colis et le mis dans mon sac. J’essuyai mes larmes. Dans un moment comme celui-ci il était indispensable que je me ressaisisse. Je connaissais déjà l’itinéraire à parcourir par cœur : d’abord continuer tout droit sur la grande avenue, puis tourner dans la petite rue de la pâtisserie. La maison de Mme Blanchet se trouvait au milieu de cette rue qui sentait la brioche chaude. C’était une petite maison bourgeoise, avec un grand jardin remplis d’arbres de toutes sortes. J’accompagnai parfois ma mère des après-midi voir Mme Blanchet. Elle nous donnait de temps en temps des pots de confiture à la mûre qu’elle avait fait elle-même avec les mûres de son jardin. C’était le bon vieux temps. Je sonnai, et quelques instants plus tard elle vint m’ouvrir. Elle avait le même sourire triste que la dernière fois que je l’ai vu, lorsqu’elle était venue réclamer ces fameuses pièces à conviction qui n’avaient mené nulle part.

« Oh bonjour Nora, entre je t’en prie. »

Elle prit le temps de faire du thé, à ma grande surprise. Et moi qui pensais qu’elle me supplierait pour que je lui donne sur le champ ce qu’elle avait attendu toutes ces années … Elle posa nos deux tasses sur la table. Je sortis le colis de mon sac et lui tendit. Elle le saisit de ses mains tremblantes, le déposa sur la table et l’ouvrit avec toutes les précautions possibles. A l’intérieur, se trouvaient de vieilles photos ainsi qu’un carnet. Tout était encore sous plastique, elle sortit les objets doucement.

« Sais-tu ce que contient ce carnet ? me demanda-t-elle en parcourant longuement la couverture de ses doigts. Ce sont les croquis de Pierre. Tiens, je vais te les montrer. »

C’étaient des croquis d’arbres, de collines, de reliefs divers et variés, des esquisses de fleurs … Pierre était paysagiste. Il aimait la nature au point d’en avoir fait son métier. Il se réjouissait chaque année de l’arrivée du printemps. C’était également quelqu’un de très avenant, toujours très agréable avec tout le monde. Il aspirait simplement à croquer la vie, profiter de ces soirées en plein air avec ses amis … Ces mêmes amis que l’on a suspecté d’avoir fait du mal à Pierre.

« Pensez-vous que c’est l’un d’entre eux le coupable ? eus-je le cran de lui demander.
- Cela me surprendrait beaucoup. Tu sais, tous ces gens venaient de temps en temps à la maison, je les connais bien. Il n’a jamais eu de mauvaises fréquentations, il choisissait ses amis avec grand soin. »

Pierre a été retrouvé poignardé non loin d’ici, près du bois dans lequel il aimait se promener, il y a 5 ans. La nouvelle a choqué bon nombre d’entres nous et a bouleversé tout le quartier. Personne ne s’attendait à ça. Personne n’aurait pu l’imaginer. En ce qui me concerne, je ne le connaissais que très vaguement. Je me souviens juste qu’une fois il y a très longtemps je suis tombé à vélo et m’était écorché le genou sur le bêton. Il ma aidé à me relever, et pour me redonner le sourire il m’a offert une sucette à la fraise. Dans son regard, je me souviens avoir lu la bonté. C’est alors que je décidai de partir. Je voulais laisser cette mère terminer son deuil, renouer avec le passé seule à seule avec ces photos.

« Oh tu sais tu ne me déranges pas, tu peux rester encore un peu !
- Non mais vous devez avoir envie d’être un peu seule … Et puis j’ai du boulot qui m’attend.
- Très bien. Tu sais que tu seras toujours la bienvenue ici. J’ai souvent une pensée pour ton adorable mère, elle doit être très fière de toi là où elle est. Je te remercie de t’être chargée de cette affaire, Nora. Tu te dis peut-être que tu n’as pas fait grand-chose, après tout ça ne ramènera jamais Pierre … Mais au moins j’ai récupéré quelques souvenirs de lui.
- Il n’y a pas de quoi Madame. »

Sur le chemin du retour, je constatai avec étonnement que l’accomplissement de cette mission m’avait boosté pour le reste de la journée. J’étais soulagée pour la maman de Pierre et en même temps très fière d’avoir pu l’aider. Parfois il suffit d’un rien pour égayer votre journée. Même ce pervers de SDF qui trainait en bas de ma rue et que je détestais tant ne pourrait pas ternir cette journée, du moins c’est ce que je pensais.

Mais une fois rentrée chez moi, à peine avais-je franchi le seuil de mon appartement miteux que ces souvenirs revinrent me hanter. Le store grisâtre me rappelait mon père et son problème avec l’alcool. Le tapis rongé, lui, dégageait une odeur aseptisée, l’odeur de l’hôpital où j’avais vu ma mère pour la dernière fois. Je pris une douche, en espérant que cela m’apaiserait un peu mais en vain. Les larmes se mirent à couler et je tentai de les faire disparaitre avec l’eau du jet. Je n’avais pas faim. Je pris un somnifère, sachant très bien qu’il ne ferait pas vraiment effet. Mes souvenirs me tiendraient en éveil jusqu’à ce que je m’effondre, comme chaque soir. D’un autre côté, je ne me plains pas de cette vie. Je vis certes seule et malheureuse dans ce maudit appartement, mais être seule c’est mieux que de vivre dans une famille où l’on a l’impression de gêner. Ici je suis libre, libre de penser ce qui me plait sans avoir à m’excuser d’agir de telle ou telle autre façon. Et puis si les gens heureux finissent tous comme Pierre, alors c’est peut-être mieux de ne pas être heureux.

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* D'après les propos de Jean Louis Barrault

• Linda, ta nouvelle, je l'ai beaucoup aimée. Ton idée a bien été développée et je l'ai adorée - elle était (et elle l'est toujours... ) très originale. Juste, j'ai l'impression qu'il y a une nette différence de style entre l'amorce et ton texte, mais c'est peut-être justement parce que je sais que l'amorce n'a pas été écrite par toi.

• Sucrée, j'ai bien aimé le fait que tu aies intégré un titre, que tu aies écrit ton histoire en plusieurs paragraphes. Et aussi que l'histoire se passe à l'étranger. Ta nouvelle se lit super-facilement, comme ce que tu écris d'habitude, je n'en attendait pas moins.