[Lyncé & Fuyaya] Naissance

Mon ange,

Je ne regrette rien. Ni la rencontre avec ta mère, ni cette nuit où nous nous sommes aimés pour la première fois tous les deux. Ni le jour où elle m’a annoncé qu’elle t’attendait. Sa crainte de l’abandon, je l’ai senti à sa voix quand elle m’apprit qu’un autre cœur battait à l’unisson du sien. L’amour que j’ai éprouvé à ce moment est indéfinissable. Dans ses yeux, j’ai lu qu’elle attendait une réponse de ma part. Je l’ai simplement prise dans mes bras, je l’ai embrassé et je lui ai dit que je vous aimais tous les deux.

On était conscient qu’il faudrait se battre, contre les préjugés et contre le monde entier. Nous n’étions plus des enfants mais pas encore tout à fait des adultes. Notre amour l’un pour l’autre était tellement fort, qu’il nous a portés hors des sentiers battus des jeunes de notre âge.

A l’âge où les adolescents ne pensent qu’à s’amuser, nous allions devenir parents. Alors que beaucoup devaient choisir leur devenir d’adulte, nous choisissions la décoration de ta chambre.

Des démons, il y en a eu. Nous avons fait face ensemble. Nous avons fait le tri des méprisants. Ce qui importait, c’était toi, qui grandissais bien au chaud dans le cocon maternel. Notre vie tournait autour de cette grossesse. Il a fallu tout apprendre plus vite. Nous n’avions pas peur, car nous avions confiance en notre force.

Mais les mois défilaient à une vitesse vertigineuse. Nous nous sommes organisés. Il a fallu arrêter nos études, trouver un travail, un logement et faire tomber toutes les barrières qui croisaient notre chemin. La vie ne nous ménageait pas, mais à chaque fois que les foudres de la vie rêvaient de s’abattre sur nous, nous relevions la tête, plus digne de notre choix.

En tant qu’homme, l’enfantement est une question de femme. Cependant, même si je ne voulais pas laisser ta mère assumer seule ta venue, il fallait être réaliste, sa grossesse me dépassait. Elle partageait avec toi in-utéro des moments que je ne pouvais pas connaître. Cette sensation de vague intense quand tu as bougé la première fois, ta mère l’a décrite comme la perception dans son ventre qu’un petit poisson se baladait. Tes coups de pieds, je n’en ai senti aucun. Tu avais la fâcheuse tendance à te calmer dès que je posais ma main sur le ventre de ta mère. C’est peut-être pour cela que j’ai du paraître tellement détaché pendant neuf mois. Je ne pouvais ni te toucher, ni te sentir. Tu étais comme irréelle pour moi.

Le jour de ta naissance, je m’en souviens comme si c’était hier.

Il faisait encore nuit noire dehors quand ta mère m’a réveillé en me disant simplement que c’était le moment. Alors qu’à demi réveillé, je me demandais de quel moment elle voulait bien parler, je l’ai compris en sentant les draps humides du lit.

A l’arrivée des pompiers, je me suis pris une réalité en plein visage. On y était. C’était maintenant. Dans le véhicule qui nous emmenait à l’hôpital, j’entendais les dents de ta mère claqueter, tellement il faisait froid par ce mois de novembre. Cela faisait neuf mois que j’attendais, que je trépignais d’impatience de pouvoir enfin te rencontrer. Et là, à cet instant, j’avais mille questions qui se bousculaient dans ma tête. Je me demandais si on avait pensé à tes couches…Et les biberons, en avait-on achetés suffisamment ? Et qui pouvais-je appelé ? Et pourquoi les sauveteurs étaient alarmistes ?

Quand j’y repense, maintenant avec les naissances qui se sont succédé au sein de notre famille, nous étions seulement trop jeunes.

Ta mère criait. Ses jurons résonnaient dans la carrosserie. J’aurais tellement aimé prendre sa souffrance. Je la regardais et je voyais dans ses yeux la fatigue, l’angoisse et la douleur. Des milliers de femmes mettent chaque jour des milliers d’enfants au monde, mais là, c’était ma femme !

Les roues du brancard crissaient sur le carrelage blanc des urgences. Je lui tenais la main, je la réconfortais, mais rien n’y faisait, ta mère souffrait. On m’a parlé de monitoring, de dilatation…Pourquoi n’ai-je pas assisté aux cours de préparation à l’accouchement avec ta mère…

On nous a installés dans une salle froide et austère. Sans aucune chaleur, on nous a expliqué très brièvement ce qu’il allait se passé. Je me souviens des regards du corps médical. Ils avaient des yeux qui nous jugeaient sans aucune retenue. Nous faisions l’objet d’une telle méprise qu’on nous a laissé seuls pendant des heures. Nous étions épuisés.

Alors que je m’apprêtais à sortir de la chambre pour aller prendre l’air, un bip retenti, vif. Puis un second… Ce son provenait d’une des machines auxquelles ta mère était branchée. Mais impossible de savoir laquelle, tellement cette alarme faisait un bruit infernal. Avec ta mère, nous nous sommes regardés. J’avais peur. Je ne contrôlais rien. J’étais totalement impuissant à la détresse que je lisais dans son regard.

Des médecins accoururent. On me demanda de sortir. Je ne voulais pas, je ne pouvais pas la laisser seule. Mais devant les hurlements de douleur de ta mère, j’obtempérais. Je m’adossai au mur du couloir mais mes jambes me lâchèrent. J’avais froid. J’étais seul. J’entendais les cris de ta mère derrière la porte et je me cachai les oreilles. Les médecins nous avaient prévenus, le corps de ta mère qui n’avait pas fini sa croissance, n’était pas encore prêt à enfanter. On nous avait dit que l’accouchement serait difficile.

Et puis le silence. Plus rien. Plus aucuns sons. Devenais-je sourd ?

Soudain, un cri aigu. Non c’était un pleure. Un pleure d’enfant. Je me relève.

La porte s’ouvre et on me laisse entrer. Tu étais sur le ventre de ta mère, emmitouflée dans tes langes. Ta mère m’a tendu la main et je me suis approché. On nous a demandé ton prénom. Nous nous sommes regardés avec ta mère totalement incrédule. On avait pensé à tout, nous avions tout organisé dans les moindres détails, tout révisé pour être sûr de ne faire aucune erreur, mais nous avions oublié de te trouver un prénom. Nous avons décidés de te donner le prénom de la personne, qui durant toute cette dure épreuve qu’avait été la grossesse de ta mère, ne nous a jamais abandonnée.

Ta mère a voulu que je te prenne dans mes bras. Tu étais si petite. J’avais peur de te casser. Tu étais tout de rose vêtue. J’ai plongé mes yeux dans les tiens. Tu étais si paisible. Tu dormais.

Des larmes de joie ont coulées sur mes joues. La vie venait de me donner le plus beau cadeau du monde.

Aujourd’hui, tu fêtes tes douze ans. Je sais que parfois je suis distant avec toi. Mais ton corps grandis ma princesse et je me retrouve face à une toute jolie jeune fille et j’ose t’avouer que de temps en temps, je me sens désarmé.

En tout cas, ma puce, saches une seule chose, je serais toujours là pour toi.

Ton papa qui t’aime.

:superclap:

On dit toujours que lorsque les derniers instants de sa vie arrive on revoit tout ce qui s’est passé comme un film. Le fait que je revois ces neuf derniers mois alors qu’une nouvelle vie arrive devrait me valoir une bonne année d’analyse… Alors que je m’apprête à être père de quoi puis-je bien faire le deuil ? Ou alors est-ce cette vie nouvelle qui fait écho aux épreuves passées qui me force à tirer un trait…

Cet enfant qui arrive et qui chamboule tout a su choisir son moment. Un mauvais présage il tient de sa mère. Débarquer à 3h du matin c’est un manque flagrant de respect pour mes neufs heures de sommeil, la seule chose qui me sépare d’un zombie. Mais de ce que m’ont dit les amis je peut tirer leur dire adieu à mes nuit sereines. Amis cela se discute, me raconter cela avec un sourire narquois et se délectant du moment, me donne à penser que ces gens s’amusent de ma privation de sommeil à venir…

Mais je veux bien devenir un zombie, me réveiller toutes les nuits et changer ses couches à ce petit monstre. Qu’il me rappelle chaque jour par ses hurlements qu’il est enfin là parmi nous. Je suis volontaire pour lui tripoter triturer le cordon, me faire vomir et baver dessus. J’arborerai fièrement au travail une chemise avec une trainée de lait régurgité. Chaque trace de notre enfant ce sera un trophée que j’exhiberai. Je veux des cravates moches, des dessins abstraits et des poèmes à la fête des pères. A la pause je parlerait de notre bout de chou, je soûlerai tout le monde avec son premier sourire, sa première dent, ses premiers pas. Et des photos, des centaines de photo sur mon portable pour montrer à tout le monde notre merveille.

Je vais être père enfin ! Certains ne se sentent pas prêt moi j’ai toujours voulu avoir ma petite famille. Et c’est là, maintenant ou du moins cette nuit ou ce matin je ne sais plus. Je veux juste que notre enfant soit là. Avec un sourire beat ou beta voir les deux, l’accueillir parmi nous ! Je sais bien que je vais pleurer et qu’elle va se moquer de moi, qu’elle va sourire en voyant les larmes rouler sur mes joues. Et moi je garderai dans mes souvenirs une image floue de notre première réunion et ce sera un souvenir impérissable. Je sais que j’aurai à jamais la sensation net de cet instant ou le mot famille aura pris une toute nouvelle dimension.

Tout va prendre une nouvelle dimension au final. Le quotidien va changer et la routine en deviendra une autre parsemé par des petits miracles. J’y ai déjà pensé, ces nuits d’insomnie alors que la grossesse débutais je m’imaginais le soir dans sa chambre à contempler notre enfant dormir. Il y a la pensée positive, j’ai mis à jour le concept avec la paternité positive. Je m’imaginais ces moments comme pour conjurer le sort, un peu comme le type dans le film La haine qui se dit tout du long « jusqu’ici tout va bien ». Moi c’était pour ne pas sombrer, rester fort quoi qu’il advienne ne pas faillir et se montrer confiant devant elle.

Croire à cette grossesse et ne pas se laisser bouffer par les fantômes. Rien ne nous a été épargné, elle me l’a souvent dit un sourire désabusé aux lèvres. Mettre des mots sur la souffrance pour ne pas craquer. Quand on a ouvert l’enveloppe de la prise de sang pour connaître les résultats elle a pleuré toutes les larmes de son corps. Ironie du sort on a reçu les résultats le 10 Mai, la date estimé pour la première grossesse. C’est irrationnel de s’accrocher à cette date, une estimation rien de certain mais je sais qu’elle y accordait de l’importance.

Le résultat positif ce jour là, c’était un pied de nez à cette fausse couche, mais en rien un soulagement. C’était une bonne nouvelle, une merveilleuse nouvelle mais la première fois aussi. Les trois premiers mois elle s’interdisait tout espoir pour ne pas être déçue, au cas où… De mon côté je me suis transformé en pom pom boy de la grossesse, la paternité positive envers et contre tout, chantant du Lorie pour la faire sourire.

Revoir son sourire… Je me rappelle de la première fois ou je l’ai revu, le vrai pas celui pour rassurer la famille et montrer que tu vas bien. A la première échographie, la première épreuve celle ou tout s’était écroulé la première fois mais là on les a entendue les pulsations, c’était viable.
A partir de ce moment là, petit à petit on a pu commencer à espérer, à timidement se projeter. Et passé les trois mois, on était suffisamment rassuré pour commencer à en parler autour de nous. Appeler mes parents pépé et mémé et les voir rigoler bêtement. Se rendre compte que tout d’un coup l’univers avait changé d’axe de rotation et que tout se concentrait autour de ce ventre qui s’arrondissait de plus en plus. Nombril en avant, épanoui clamant déjà que son habitant était le maître de l’univers.

Régnant sur son royaume, prince de l’utérus s’appropriant bien les lieux avec une grosse tendance à faire du rangement et à réorganiser la pièce. Tiens une vessie je vais la pousser un peu et ça… ça doit pas servir à grand chose je vais le mettre là. Bien sûr ce n’est pas moi qui ait eu droit à ces délicieuses sensations mais ma chère et tendre a pour le moins des réflexes dynamique. Ce qui se pense en dedans se traduit en dehors et elle n’a pas été la seule à se prendre des coups de pieds… Mais le sentir gigoter quel bonheur, ces moments d’intimité à trois lorsque je le manipulais en mettant en pratique ce que l’on avait vu pendant les cours d’ haptonomie. Et les fou rire lorsque j’essayais de lui parler en anglais pour le rendre bilingue, pour se moquer de moi elle avait même dessiné des yeux et une bouche sur son ventre.

Et là d’ici quelques heures je vais pouvoir lui parler en direct. Plus d’intermède en tête à tête, des longues conversations entre lui et moi. Les premiers mots que je vais lui dire c’est bien sûr que c’est le plus beau, le plus aimé et le plus attendu des bébés. J’ai renoncé depuis longtemps à faire dans l’originalité, je suis dingue de mon gosse et j’assume. La seule chose à présent c’est qu’il faut qu’il se décide à sortir.

A la voir faire les cent pas dans le couloir, il me semble qu’elle est elle aussi pressée que le travail commence. Elle marche de long en large et je la vois répéter comme des incantations ce que l’on a vu pendant la préparation à l’accouchement. D’un coup elle s’arrête le temps d’une contraction, elle qui était si douillette, elle est vraiment devenue forte. Une fois passé elle me regarde avec un sourire et quand elle a le temps une petite blague. Elle est morte de trouille et moi aussi, même si je fais semblant et même si elle s’en rend bien compte.

Une sage femme reviens vers nous, visiblement les choses sérieuses vont bientôt commencer et il est temps pour moi d’aller perdre une main et gagner un fils.