[franabisen et Stern] Les vacances au ski

Sept heures. J'avais l'espoir, en ce premier jour de vacances, de faire pour une fois la grasse matinée. Problème, ce n'était pas dans les ambitions de mon chien, qui n'a pas hésité à venir me réveiller en cette heure matinale. Fatigué, je tente de calmer l'animal et de le renvoyer dormir. Mais rien n'y fait. L'animal s'intéresse vraisemblablement bien plus à la neige dehors qu'à ma paresse évidente.
Contraint de me lever, je sors difficilement de mon lit et enfile mes pantoufles. Je descends les quelques marches qui me séparent du salon. Apparemment, tout le monde dort encore dans le chalet où nous avons choisi, ma famille et moi, de passer nos vacances à la montagne.
Imaginez : un beau chalet en bois, presque au pied des pistes. Deux chambres, idéal pour une famille de quatre personnes comme nous.
Des enfants excités, une femme qui ne l'est pas moins. Un chien passionné des grands espaces. Un cadre idyllique, des pistes bien enneigées. Que demander de plus ? Ah oui, je sais. Un amour inconditionné pour le froid, la neige, le ski. Chose que je n'ai malheureusement pas.
Revenons aux origines de ce séjour fou. Un vendredi soir, ma femme est rentrée du travail, toute excitée. Elle a hurlé, de manière à ce que tout le monde l'entende :
« Les enfants, on part au ski ! »
Je n'avais aucune idée de ce qui se passait. Les enfants se sont immédiatement jetés dans les bras de leur mère, et j'ai fait comme si de rien n'était. Après le repas, je suis allé voir ma femme :
« Chérie, c'est quoi cette histoire de ski ?
_Quoi ? Il y a rien d'irréel ! En gros, mon boulot finance en partie une semaine de ski pour les employés. Du coup...
_Attends, attends, ai-je répondu. Il y a un gros problème. Tu sais bien que j'ai horreur du ski...
_Roh, c'est bon. Au pire, tu resteras à la maison à manger du saucisson et à siroter un milkshake, ça me va très bien. »
Sur ce, je suis resté sans mot. Après tout, c'était une bonne idée. Rester des journées entières avec pour seuls compagnons du saucisson et un verre de milkshake, rien de mieux, non ?
Nous sommes donc partis hier, à cinq heures du matin, pour un long périple avec comme fond sonore, le dernier tube de Madonna. C'était ma fille aînée, plus grande fan inconditionnée de l'artiste, qui nous a supplié, ma femme et moi, à faire passer cette chanson. Evidemment, on n'a pas échappé aux traditionnels bouchons. Et encore, je ne vous raconterai pas le nombre de fois où on s'est arrêté sur une aire d'autoroute, pour se soulager, bouger un peu ou encore manger. Bref, c'était horrible. Horrible.
Une fois arrivés là-bas, j'ai poussé un soupir de soulagement. J'ai ouvert la porte du chalet. Je suis monté à l'étage. Je me suis affalé sur mon lit. J'ai fermé les yeux. J'ai dormi.
Deux heures plus tard, je me suis réveillé. Au rez-de chaussée, j'ai trouvé ma femme qui préparait le dîner. La voiture n'était toujours pas déchargée. Super.
A l'étage, les enfants semblaient s'approprier l'endroit. La grande, vous vous en doutez, était enfermé dans sa chambre à écouter son idole, et le petit jouait aux petites voitures, qu'il avait sagement gardé sur ses genoux durant toute la durée du trajet. Après avoir fait une visite un peu plus approfondie que ma première vue, je me suis finalement résigné à décharger la voiture. Manque de chance, ma femme a appelé à table pile au moment où j'étais paré pour sortir. Et zut.
Après le repas, ma femme et moi avons enfin déchargé la voiture. C'était... aussi horrible que le trajet. Dans le noir, par un froid glacial, avec les aboiements d'un chien en bruit de fond, faire des tonnes d'aller-retours entre la voiture et la chambre. Mon Dieu, quelle horreur.
On en arrive finalement à ce moment présent. Un chien excité par la neige, et un moi-même qui ne demande qu'à retourner au chaud à la maison, loin du froid environnant. Oh, quelle bonne idée ! Pas de matériel à aller louer dans la journée, pas de longue queue à faire pour acheter nos quatre forfaits...
Oh, mais suis-je bête. Et ma famille dans tout ça ? Faut que je trouve un moyen de les caser. Et si...
« Chéri, t'es déjà levé ? »
Elle est obligée de me déranger pendant mon monologue ? Continuons. Et si je les ramenais de force avec moi ?
« Chéri, tu m'entends mon amour ? 
_Oui, je suis levé, si ça t'intéresse tellement. »
C'est qu'elle m'énerve à la fin. Elle voit bien que je suis levé. Pas la peine de l'hurler sur tous les toits. Oh, la voilà qui descend l'escalier. Ça y est, je suis mort.
« Paré pour une première journée ? »
Ah, non. Finalement l'assaut a l'air plutôt pacifique.
« Euh, oui, répondis-je. T'as réveillé les enfants ?
_Roh, pas encore. Lolie m'aurait déjà tué sinon. 
_Détrompe-toi. Ça lui aurait fait plus de temps pour écouter sa musique... 
_J'aime ton humour mon chou. »
Tout compte fait, ça commence plutôt bien ce séjour. Enfin, je n'ai pas encore été vraiment soumis au froid glacial qui règne dehors en ce moment. Il me reste quelques heures de répit avant d'attaquer les choses sérieuses. Ouf.
« Salut Papa, salut Maman !
_Lolie ? Déjà réveillé ma chérie ?
_Bah oui, t'as pas remarqué ? J'ai peut-être pas monté assez le son, alors. »
Ah, voilà. Je me disais bien que j'entendais un petit air de Like a Prayer qui venait du haut.
« Ton frère est levé ?demandai-je.
_Ouaip. Il devrait bientôt descendre, il voulait absolument jouer encore un peu avec ses petites voitures chéries. »
Le petit est bel et bien descendu. Le petit-déjeuner s'est fait dans la joie et la bonne humeur. Nous sommes partis en direction du magasin de location de matériel vers neuf heures.
La location s'est faite rapidement. Du fait de l'heure plutôt matinale, la boutique était presque déserte.
Nous sommes donc arrivés sur les pistes une heure après, vers onze heures. Vous me direz ce que vous voulez ; oui, les pistes étaient peut-être verglacées, il y avait peut-être un monde fou, il faisait peut-être un froid polaire mais... j'étais avec ma famille, dans un cadre idyllique, la montagne. Je retire tout ce que j'ai dit jusqu'à présent. J'aime le froid, j'aime skier. J'aime la montagne.

Février. Je suis debout à ma fenêtre, pantoufles, lait chaud, pyjama informe, envie de rien. George, notre vieux chien, mâchonne un saucisson volé sur la table. C’est un bâtard de grande taille, de longs poils noirs et les yeux qui partent en cacahuète. Dans le salon plongé dans la pénombre, sa grosse silhouette allongée sur un coin du tapis ne se détache que par ses grognements satisfaits. Les cadavres de la soirée forment un profil urbain sur la table basse. Je n’ai touché à rien. Ni à l'alcool, ni aux chips, ni aux olives. Tous se sont empiffré puis sont repartis, me laissant seule.

Dehors, la nuit embrasse le ciel et caresse les toits. J’observe sans la voir notre rue blafarde, couverte d’une espèce de Milk-shake gluant, gloubi-boulga de neige et de boue. Les immeubles ressortent gris et sales sur les nuages bas. J’exècre cette ville. Il m'a forcé à venir ici et maintenant je suis seule dans une ville que j'exècre.


*flash-back*
« Écoute ma chérie, je dois y aller, tu comprends c'est pour le travail.

_ Et le mien de travail, et le MIEN ?! » Je lui tapais tellement fort sur le torse, les deux poings bandés, les yeux au bord des larmes.

« Mais tu en retrouveras du boulot, toi. Tu en retrouves toujours. » Toujours mais pas cette fois.
La décision était prise, sans moi, tout était prévu, la ville, la maison, la date du départ. Cette ville ou notre séparation ? Dilemme.

*fin du flash-back*


Je frissonne, le chauffage est éteint... ? Rien à faire, putain. Rien à faire de son clébard mal élevé qu'il m'a laissé en partant. Rien à faire de l'heure. Rien à faire qu'il fasse chaud ou froid, beau ou moche, été ou hiver... (Putain.)

Alors que... Alors que je rêve de la neige brillante, manteau de mille bijoux qui se montre fièrement sur les branches des arbres, les pare comme un diamant, Madonna gracieuse qui se pavane sur les pistes et s'accroche en flocons parfaits, géométriques et nacrés, sur les vitres d'un chalet intimiste.

Chalet chaleureux et convivial où des amis riants et drôles me serviraient un verre de vin chaud et une fondue savoyarde. Les épices chaudes et sucrées du vin planeraient comme un ange sur le goût intense et tenace du fromage sur le pain.


J'ose ? Je lève la tête, reprends conscience. La décision est prise. George et moi nous baladant dans la forêt, lui gambadant joyeusement, agitant ses vieux membres dans la poudreuse volante, moi le suivant à petits pas, le pif rouge et les yeux brillants et en arrière-plan la grande silhouette des arbres noirs sur le fond blanc immaculé. Le ciel si haut, si bleu où même les montagnes se ratatinent.

Faire du ski... Glisser, deux ou trois virages, gauche – droite – gauche. La neige rigole sur mon passage, le vent fouette mon sourire et taquine mon cœur. La vitesse, dérapage, adrénaline. Boum, boum, boum, boum.


Il existe des gens comme lui qui ne comprennent rien au charme du froid et de la neige, qui adulent le soleil et l´été comme une religion, se plaignent et grognent et tapent du poing sur la table quand la nature s´assoupit enfin pour laisser place au rêve éveillé qu´est l´hiver.

Pour Noël l´année dernière, je l´ai emmené dans un coin reculé de montagne où le silence était si pur... Pur comme il ne peut l´être que dans l´écrin de la neige. Déjà à l´époque, je rêvais de ces vacances d´hiver, utopiques jours de replis pour oublier le reste. J´avais prévu les dîners en amoureux devant un feu joyeux, les balades en raquettes dans ce paysage de folie et de grandeur, le lit gigantesque et moelleux où se cacher des intempéries. Mais au lieu de rires, de tendresse et d´amour, je n´ai eu que son visage tordu par l´ennui, assombri par l´isolement forcé. Jamais nos disputes furent plus violentes et plus longues à cicatriser. Enfermés dans une bulle sans oxygène obligés de restés cloîtres ensemble, nous nous marchions sur les pieds et achevions par la même notre amour blessé.
Je me rends compte à quel point nous nous étions éloignés, à quel point nos rêves avaient divergé...
Alors oui, aujourd’hui´hui, j´ose. J´ose déclarer devant … toi, mon gros Georges, que cette ville et cette vie ne sont plus pour moi... Pour nous. Viens avec moi, mon ami, allons passer ta retraite Là où tu auras des flancs de montagnes et des forêts où gambader à loisirs, Où nous retrouverons le soir la chaleur inégale et la quiétude du feu de bois dans l´âtre antique d´un chalet de rondins.