[Sondage]Dur de la feuille

La jeune femme mit ses dernières affaires dans son sac avant de partir précipitamment. En retard à son premier jour de travail, ça ne ferait pas très bon effet. Elle se mit donc à courir, et cogna par accident son sac contre un mur.


« Aïe ! Hurla le téléphone. Tu devrais faire attention !
-Hé ho ! La chochotte de la poche intérieure, tu peux arrêter de crier ! On n’est pas sourd ! répliqua la trousse à maquillage !
-C’est bien pour ça que je hurle ! Si vous n’entendez pas bien,  je suis obligé de parler plus fort ! En plus, ça fait très mal… Elle a oublié de remplacer ma coque.
-Mais qu’est-ce que tu racontes encore ?! , demanda le porte-monnaie, j’étais en pleine sieste ! C’est pas vrai ça ! Vous pouvez pas parler à voix basse !  On s’entend très bien dans ce sac !
-EXACTEMENT ! s’exclama le téléphone ! On n’entend pas bien du tout ici !
-Mais c’est pas possible ! Ecoute un peu quand on parle ! Ce n’est pas compliqué bon sang ! Parle doucement et article ! répondit le porte-monnaie !
-Quoi ? Tu peux répéter plus fort s’il te plait ?
-Au moins tu ne cries plus, c’est déjà ça !
-Ha pardon ! EST-CE QUE TU PEUX REPETER S’IL TE PLAIT ?
-Je parle en chinois ou quoi ?! J’ai dit que tu dois parler doucement et ar-ti-cu-ler !
- Vous n’avez pas fini avec vos bêtises tous les deux ! J’en peux plus de vous voir vous disputer à chaque fois que l’autre smartphone il entend rien ! s’énerva la trousse à maquillage suffisamment fort pour le que téléphone entende
-Mais j’entends très bien, c’est vous qui parlez pas assez fort ! J’y peux rien moi ! Dit le téléphone avec une pointe d’énervement dans la voix.
-Arrête, tu m’énerves ! Tu n’entends rien DU TOUT ! Le micro, ça se nettoie régulièrement je te signale, sinon on devient comme toi, à devoir toujours tout faire répéter à tout le monde juste parce que tu ne cesses de dire que tu entends bien, répondit avec agacement le porte-monnaie
-Enfin tu reconnais que j’ai raison ! J’entends très bien, et je n’ai pas compris la partie où tu parles de mon micro, mais je veux des excuses ! dit fièrement le téléphone, heureux d’avoir raison
-Mais quelle application elle t’a installé qui te fait bloquer comme ça ?! Je ne m’excuserai pas envers toi, et je disais justement que tu devais NETTOYER TON MICRO !
-Comment oses-tu dire de telle horreurs, répondit le téléphone offusqué, mon micro est parfaitement propre et net ! De plus, je souligne le fait, que TU cries, que TU déranges les autres ! Je comprends que tu ne souhaites pas t’excuser en public, tout à l’heure, quand on sera moins nombreux, quand elle paiera son repas, tu pourras le faire !
-Stop, on va arrêter là je pense, non ? demanda la trousse à maquillage voyant que la situation allait dégénérer.
-Il est hors de question que quiconque me parle ainsi ! Je suis tout de même le porte-monnaie, celui qui a permis de vous acheter ! Donc, toi le smartphone payé avec ce que je contiens en moi, écoutes bien, je ne me répèterai pas. Compris ?
-La parole est à toi, répondit sans trop rechigner le téléphone
-Tu n’as plus intérêt à me réveiller, avec tes cris stupides ! La prochaine fois que ça arrive, je renverse tout l’argent que je contiens pour qu’elle ne puisse pas te réparer et …
-Je t’arrête tout de suite, le coupa le porte-monnaie, elle possède une carte de crédit, elle pourra me réparer !
-Là tu entends comme c’est bizarre, répliqua avec énervement le porte-monnaie
-Je ne suis pas bizarre ! Je ne te permets pas de m’insulter !
-Et voilà que ça recommence, soupira le porte-monnaie. Je disais que je trouve bizarre le fait que tu entendes bien !
-Tu continues en plus ! Je ne suis pas bizarre et j’entends parfaitement bien !
-Votre petit jeu va continuer encore longtemps ? demanda la trousse à maquillage avec un air agacé.
-Un jeu ? Quel jeu ? Ceci n’est plus un jeu, mais un moyen de conserver son honneur intact, répondit le téléphone.
-Je crois que c’est trop tard pour toi, se moqua le porte-monnaie, tu es sourd, tu refuses de l’avouer, et en plus tu te crois meilleur !
-Tout ceci est faux, j’ai une ouïe parfaite, comme ces animaux dont les humains parlent… J’ai la même ouïe qu’un lynx !
-Faux ! Le lynx a une bonne vue,  pas une bonne ouïe, se moqua le porte-monnaie une fois de plus !
-Enfin, oui…mais…je veux dire… J’entends très bien !  C’est tout ! Je n’ai pas à me justifier de quoi que ce soit !
-Je n’en peux plus ! Arrêtons ceci, et va nettoyer ton micro ! Tu verras que tout ira mieux après !
-Pour qui te prends-tu à me donner des ordres ainsi ? Je n’irai pas laver mon micro pour la simple et bonne raison que je n’en ai pas besoin ! Absolument pas mon cher !
-Qu’est-ce que tu peux être énervant toi ! Je te demande poliment d’aller nettoyer ton micro pour que tu entendes de la meilleure manière possible, en plus tu seras encore plus populaire auprès des objets qui dorment tard ! répondit avec tout le calme possible le porte-monnaie.
-C’est fou ce que TU es impoli ! Ça ne se fait pas ce genre de chose et laisse-moi te dire que…
-CHUT ELLE OUVRE LE SAC, cria la trousse à maquillage.
-Elle va sûrement me prendre, mais on en a pas fini nous deux, chuchota le téléphone. »

Elle sortit le téléphone, le porte-monnaie du sac, elle paya son café, passa un appel, et nettoya minutieusement le micro.


« J’avais raison, murmura le porte-monnaie tout fier ».

Sur le chemin de l'institut dans lequel mes grands-parents étaient placés je repensais à ce qu'ils faisaient à mon âge... A 35 ans, ma grand-mère avait sa maison, trois enfants et elle fêtait ses quatorze ans de mariage ; moi, je suis sans enfant et en pleine instance de divorce pour la seconde fois. Qu'est-ce qui a changé en si peu de temps ? J'arrivais à la porte du petit salon où ils passaient leurs après-midi : dans un décor vaguement jaune orangé. Il y avait une partie de scrabble en cours à ma droite et un duel d’échec à ma gauche. Et en face de moi se trouvait un petit couple qui m'étais familier. Ce fut mon adorable grand-père à la silhouette toute tassée mais à l’œil toujours aussi vif qui s’aperçut de ma présence :

«  - Ma chérie tu es enfin venue nous voir !
- Papy, je suis venue vous voir la semaine dernière...
- Tu es venue l'année dernière ? Ah oui ça c'est sur, rendre visite à ses grands-parents une fois par an ça ne te coûte pas beaucoup...
Ma grand-mère, s'en mêla :
- Arrête de la taquiner cette pauvre enfant, elle a le cou un peu long oui et alors ? Tu as bien de grandes oreilles toi, asséna-t-elle.
- Mes oreilles vont très bien je te remercie, rétorqua le vieil homme.
- Mais de rien ! dit-elle satisfaite.
Pour changer de sujet, rien de plus facile, il suffisait de les faire parler du passé.
- Dites-moi, comment vous êtes-vous rencontré ?
C'est mamie qui pris la parole la première :
- Nos familles habitaient dans une petite ville minière, moi je vivais près du bourg tandis que ton grand-père vivait dans les cités, comme on disait. Et puis, il a fallut qu'on déménage, et j'avais dix-sept ans quand j'ai emménagé dans sa rue.
- On ne vivait pas dans la rue ! Non mais tu perds la tête ma pauvre Annie ! Je vais t'expliquer moi : alors j'avais dix-neuf ans et je draguais tout sur mon passage. Tu as peut-être du mal à l'imaginer mais ton grand-père était un vrai don juan à l'époque ! Et, un jour, je vois une petite minette qui emménage dans l'ancienne maison des Frontzak avec une marmaille derrière elle t'imagine même pas...
- Ah ça c'est sur qu'avec huit petits frères et sœur il fallait faire bouillir la marmite ! Et puis sans compter que nous sommes des enfants de la guerre nous ! On n'avait pas le temps de jouer : il fallait garder les vaches, trouver de l'herbe pour les lapins...
- Oui je sais maminette, tu me l'as déjà raconté.
- Et je t'ai raconté aussi quand on a dut faire nous même la farine pour avoir du pain blanc pour ma communion ?
Sans me laisser le temps de répondre, mon grand-père enchaîna en secouant frénétiquement la tête :
- Mais voyons à dis-sept ans tu avais fais ta communion depuis longtemps Annie !
Et il rajouta tout bas, une main sur mon épaule, à mon intention : J'ai l'impression que ta grand-mère perd un peu la boule ma chérie...
- Ah je t'ai entendu Roger !
Ce serait bien la première fois ais-je pensé en mon fort intérieur...
- Oui, donc. Votre rencontre, on en été où ?
Elle prit la parole en premier :
- Je ne l'avais pas remarqué au départ, mais il est venu m'aborder lors d'un bal. Il a été charmant !
- Je me souviens de ce soir là, j'étais un peu pompette comme dirait ta grand-mère. Ce soir là pour me faire mousser devant les copains j'avais décidé d'emballer sa copine qui n'avait pas froid aux yeux. Il n'y avait que le train qui n'était pas passé dessus !
- Papy... Épargne moi les détails je t'en pris …
- Mais non je n'avais pas de train à prendre Roger ! Mon cœur était déjà pris voyons ! Mais ton grand-père m'a couru après pendant des semaines !
- Ce soir là, je n'étais pas frais comme je te l'ai déjà dis, alors au lieu d'aborder sa copine, je me suis dirigé vers ta grand-mère.
- Et elle t'a séduite c'est ça ? demandais-je avec un air peu convaincue.
- Non, mais je me suis dis que si je ne pouvais pas l'avoir elle, je pourrais toujours tenter le coup avec sa copine...
- C'est d'un romantisme !
- Ah ça... Ton grand-père est un homme presque fleur-bleu au fond, répliqua-t-elle en poussant un soupir d'aise.
- Oui c'est vrai ! Je me souviens du pont ! C'est là que je l'ai embrassée pour la première fois !
Elle pris son air le plus contrits et dis :
- Ton foie te fais mal mon chéri ?
- Non merci, j'ai arrêté le chocolat. Il me gratifia alors d'un clin d’œil complice.
Et maminette me glissa à l'oreille :
- Comme s'il espérait me faire croire des histoires pareils, tout en gratifiant mon grand-père d'un regard désapprobateur.
- Je suis désolé, il faut que j'y aille. J'ai un rendez-vous dans quelques minutes.
- Ah oui ? Avec qui ?
- Mon avocat maminette. Je vous dis à bientôt ! »
Il fallait que j'écourte à tout prix : je les embrassais et parti sans me retourner. En sortant, je les entendis se chamailler à mon sujet :
« - Pourquoi tu crois qu'elle va voir un avocat ?
- Roh mais fiche lui la paix à cette petite, Annie tu la couves trop !
- Je ne vois pas le rapport avec la louve Roger. Parfois je te trouve vraiment bizarre...
- Ma peau va très bien, c'est gentil de me comparer à un lézard !
Cette conversation m'a fait réaliser une chose : je crois que rien n'a changé. Ou peut-être les mentalités. Mais en tout cas, après toutes ces années, ils arrivent à se disputer. Et ce bien qu'ils soient dur de la feuille tous les deux !