[Votes] Soirée auprès du feu

__Les flammes bleues crépitent dans leur bocal, diffusant leur douce chaleur dans un rayon de quelques mètres seulement. Leurs nuances froides donnent un aspect peu chaleureux à la pièce. À l'image du temps, cette dernière est plongée dans l'obscurité.
__Frissonnante, je resserre la couverture polaire autour de mes épaules, me rapprochant encore un peu plus du feu. Je sens, sans réellement les voir, ma sœur se blottir à mes côtés et mon frère remuer faiblement, cherchant sans doute une position un peu plus confortable. Fermant les yeux, j'imagine mes parents, souriants et pleins de vie, nous remonter le moral. Peine perdue. Leur souvenir m'arrache quelques larmes. Elles coulent lentement le long de mes joues, sur mon menton, laissant le froid ambiant s'attarder sur les traînées qu'elles laissent.
__Papa. Maman. Pourquoi êtes-vous partis ? Pourquoi nous avoir laissés dans ce monde de mort, ce monde de froid et d'obscurité, ce monde sans vie ?
__Par le petit hublot qui donne sur la rue, je peux voir la neige tourbillonner, bousculée par les rafales de vent puissantes qui balaient le pays depuis plus d'un siècle. Je ne connais que ça. Le froid. Le noir. La peur.
__Malgré le bourrage de crâne du gouvernement, malgré les publicités qui passent régulièrement sur les écrans publics dans la rue, personne n'est dupe. Mon frère, ma sœur et moi-même, ainsi que tous ceux que nous connaissons et qui vivent dans la même misère que nous… Tout le monde sait qu'ils sont capables de contrôler à leur guise le climat, et depuis longtemps. Qu'ils le maintiennent pour garder le contrôle sur nous. Qu'ils assurent ainsi notre obéissance totale. Notre soumission.
__Autant de mensonges que de morts chaque jour. La France est-elle tombée si bas ? Après l'avancée fulgurante de la technologie, après l'âge d'or qui a fait prospérer le monde entier, après le XXI^ème siècle, si beau et si chaud comparé à aujourd'hui… Les pauvres, les affamés, tous ces abandonnés de la société se sont rebellés. Personne n'avait pu le prévoir. Eux qui supportaient si bien, durant tout ce temps, eux qui savaient se cacher afin de ne pas avoir à affronter les regards tantôt apeurés, tantôt méfiants des civils…
__Le gouvernement n'avait pas différencié les rebelles des autres. Il avait réuni dans l'urgence une armée de militaires, parfois surentraînés, parfois novices, et avait ordonné l'extermination de la moitié de la population.
__Depuis, il n'a pas relâché sa garde, sans cesse dans la crainte d'une nouvelle attaque.
__Mon frère se rapproche à son tour de moi. Je l'attire doucement dans mes bras, profitant de sa chaleur comme lui recherche la mienne.
__Pas un mot n'est prononcé. Nous sommes blottis les uns contre les autres depuis longtemps. Ou peut-être pas. J'ai perdu la notion du temps au moment où je suis rentrée du travail, épuisée d'avoir trié durant la journée entière des armes en plus ou moins bon état. Je ne suis pas bien vieille, pourtant. J'ai à peine seize ans. Mon frère en a dix-neuf. Il travaille en tant que militaire pour leur compte, trahissant ses idéaux en silence. Il faut bien ça pour rester en vie. Seule ma sœur de huit ans continue sa scolarité. Les instituteurs ont le devoir de lui bourrer le crâne de leurs idées.
__Chaque jour, que ce soit en famille ou dans la rue, la peur et le sentiment d'oppression croît, si toutefois c'est encore possible.
__Laissant mes sombres pensées s'éloigner, je jette un coup d’œil au réveil posé à côté du bocal. Il est vingt heures. Le soir est encore jeune. Comme toujours, je ne dormirai que quelques heures. Ce sera suffisant pour que les cauchemars viennent me tourmenter. La lumière des flammes ne suffira pas à m'apaiser.
__Avec résignation, je me prépare à affronter une fois de plus la nuit glaciale, si semblable aux autres, si longue et si terrifiante.