[Neikka & Miss_Cupcake] L'eau

J'observe tout autour de moi. Une plage, des gens qui hurlent, braillent, cuisent au soleil. Je n'aime pas du tout les sorties à la plage auxquelles mes parents me forcent à assister. Je m'assois sur ma serviette trop courte, je sens les galets sous celle-ci, mes pieds dépassent et heurtent une algue morte. Beurk. Franchement, je ne vois pas pourquoi tout le monde est content de venir ici. On se tue les pieds sur des cailloux, l'eau est gelée, c'est plein de touristes aussi stupides que les stars de téléréalité. Quoique s'il on remonte à l'étymologie du mot stupide, soit le mot latin stupidus : frappé de stupeur; le stupide est une personne qui s'émerveille ou s'étonne de tout. Ce qui est plutôt un compliment en soit. Et mon total contraire. En même temps, franchement, comment je pourrais m'étonner de quoi que ce soit, vu mes capacités ? Même si près de l'eau salée, je ne peux rien faire. Oui, bon, ok, à part les crétins qui polluent la plage, c'est surtout cette incapacité à agir qui m'énerve.

Je profite que ma mère ne regarde pas, prends un galet large et plat, le fais léviter, avant de l'envoyer directement dans l'eau ; wouh ! Quels ricochets, je devrais avoir une médaille, je vous assure....Oui, je m'ennuie.

Je me redresse, posant mes coudes sur mes genoux et mon menton dans mes paumes. Je jette un regard blasé à tous les touristes, puis ferme les yeux pour penser à autre chose.

Il y a huit ans déjà, ma mère m'emmenait au lac dit de Caniel ; c'est un lac aménagé pour des activités nautiques ou autres, bref, un nid à touristes. Alors que nous faisions du pédalo avec mes cousins, je me suis mise à chahuter avec eux ; ils eurent tôt fait de me mettre à l'eau. Du haut de mes six ans, je ne savais pas encore bien nager. J'aurais dû couler et peut-être me noyer...Mais non ! Je « flottais », ne ressentais aucune pression. Je pouvais même respirer (je m'en rendis compte alors que j'étais à deux doigts de m'asphyxier, d'ailleurs). Je n'avais pas tout compris, mais je m'amusais, alors je me mis à me balader autour du pédalo, en nageant, comme si de rien n'était. Une main me surprit, je me retournais...C'était ma mère.

-Que fais-tu ?!

-Je sais pas, je répondis innocemment.Parce qu'il est vrai qu'à part tourner autour du pédalo, je ne savais pas trop ce que je faisais.

-Reviens là.

Elle m'agrippa par le bras, je trouvais agaçant de devoir remonter à la surface, mais...Elle m'entraîna encore plus vers le fond. Une fois que nous fûmes au milieu des algues des profondeurs du lac, elle s'arrêta et me regarda. Elle inspira profondément.

-Normalement, tu aurais dû y échapper...

-A quoi, maman ?

-Aux pouvoirs liés à ton sang.

-Comment ça ?

Des pouvoirs ? Cela m'avait fait penser aux fées, j'aimais assez bien les fées, mais je commençais à trouver ça gamin.

-Oui. Écoute, ça va te paraître assez compliqué, mais je vais t'expliquer comme mon père me l'a expliqué, comme sa mère le lui a expliqué, comme...Bref, comme on l'explique à tous. Si tu ne comprends pas un mot ou une chose, tu m'arrêtes. D'accord ?

Sans attendre ma réponse, elle commença.

-Nous sommes toutes deux issues d'une longue lignée de druides. Non, on ne dit pas druidesse. Oui, comme Panoramix dans Astérix et Obélix, bien qu'ils usent et abusent des caricatures de nos ancêtres, et que ce ne soit pas forcément une référence très...Classe. Les druides ont des pouvoirs en lien avec la nature, chacun a sa spécialité. Ces spécialités se transmettent par le sang, si bien que les druides évitent de se marier entre eux, car il ne leur faut qu'un enfant, au risque de perdre trop de leurs pouvoirs, car les pouvoirs ne sont pas infinis, il y a une certaine dose de magie dans le monde et...euh, tu comprends tout... ?

J'avais totalement décroché. Elle laissa tomber.
Des années plus tard cependant, cinq pour être exacte, elle me l'avait raconté de nouveau.
Je n'aurais pas du avoir autant de pouvoirs, en fait ; mais les druides devenaient de plus en plus rares, et ainsi, plus puissants.
Notre spécialité était l'eau. Mais nous étions impuissants en mer: le sel bloquant notre magie spécifique ; nous ne pouvions utiliser que la lévitation ; et encore...

Je suis en apprentissage, mais je n'en suis pas moins une druide, une druide de l'eau ; je suis l'eau.

Ça y est ! J’ai enfin osé, je me sens revivre, renaître ! Elle se pose sur chaque partie de mon être, et je la ressens. Je ferme mes yeux, et utilise toute mon énergie à ressentir chaque diamant tombant sur moi, à entendre chaque goutte se poser sur ma peau. Je sens la puissance de ce jet sur moi, et ça me plait, je suis à présent sous hypnose, je ne peux plus me passer de ces sensations, plus merveilleuses les unes que les autre. Pourquoi ai-je autant attendu avec de me décider. Je ne veux plus partir d’ici, je continue à la ressentir sur moi, je profite. J’ouvre mes yeux, mais elle remplit l’intérieur de ces derniers. Elle provoque pour la première fois une sensation négative. Je dégage alors mon visage de son flux, cligne des yeux à plusieurs reprises afin de l’enlever, puis je referme les yeux avant de revenir sous son jet. Elle a beau être désagréable les yeux ouverts, elle reste  mon paradis…

Je sais que certaines personnes ne l’aiment pas, mais je ne comprends pas comment c’est possible. C’est vrai, elle met dans un état d’hypnose tel qu’il est impossible de ne pas apprécier toutes ces douces sensations… Certes, si ces êtres restent les yeux ouverts, ils ne peuvent profiter de tous ces bienfaits, mais tout de même, elle reste belle… Même sans aimer être en contact avec elle, on doit aimer cette cascade de douceur, de fraîcheur, de brillance. C’est tout simplement logique non ?

Plus j’y pense, moins je comprends. Enfin, je pense que c’est parce que malgré le fait que je sois en dessous, son bruit ne peut sortir de mes oreilles, sans la voir je l’entends, toujours aussi hypnotisé par ce son enchanteur ! Je n’ai pas encore pensé à la sentir. Je tente alors, mais malgré toute ma concentration, je ne sens rien, rien du tout… Rien n’est parfait, il lui fallait bien des défauts, elle ne sent rien et est désagréable les yeux ouverts…

Plongé dans mes pensées, j’entends tout à coup la petite fille de la maison appeler sa mère en entrant dans la pièce et en me voyant :

« Maman ! Le chat est en train de jouer avec l’eau dans le lavabo de la cuisine ! Je fais quoi ?