[Chocolate et Eleanys] L'art

Je m’appelle Arty. Je déteste mon prénom, ridicule diminutif de l’Art et des artistes. Comme ma génitrice. Cette femme qui vivait dans le péché et qui m’a heureusement abandonné peu après ma naissance, me permettant de ne pas de vivre dans la honte.
Car l’art n’est rien qu’une perte de temps, ce temps si précieux dont la communauté a besoin.
Le master la compris lui. Il a compris que toutes ces personnes, ces prétendus artistes n’étaient que des boulets à la charge de la communauté. Et il les a fait partir, dans de grands camps situé au Sud, là ou leur « art » servira à quelque chose.
Mais aujourd’hui encore, des traces subsistent, des rebelles sont restés, cachés. Et c’est mon rôle, moi le jeune Arty, de les éliminer. Des brigades ont été créées pour trouver et bruler les dernières œuvres, comme ils appellent leurs travaux. Quel nom pompeux pour ces choses inutiles.
Si ma mère savait ce à quoi s’occupait son fils. Elle qui pensait que donner la vie serait son plus grand chef-d’œuvre, que prénommer ainsi son fils bousculerait son destin.
Elle avait bien raison. Ce prénom haï n’a fait que renforcer mon désir de me joindre aux projets du Master.

J’ai grandi seul dans l’ancien atelier de ma génitrice, en plein dans le quartier artiste de la ville. Ses anciens amis passaient de temps à autres, voir si j’étais toujours là. Trop occupé par leur précieux Art pour s’occuper un tant soit peu du gamin solitaire et isolé que j’étais. Je crois que petit déjà j’avais compris que c’était à cause de l’art que ma mère m’avait abandonné, car même dans les pires moments de désespoirs, jamais je n’ai touché aux crayons ou pinceaux. Jamais.
Et puis un jour, j’avais 11 ans, je suis parti explorer la ville, les recoins sombres de mon quartier. Je forçais les portes des maisons, et je les visitais, parcourant chaque mètre carré méticuleusement. Je venais de pénétré dans la maison abandonné des Hircher quand je tombais sur une bande de jeunes. Ils me regardèrent tous, hostiles et l’un d’entre eux écarta leur rang pour venir se poster devant moi. Il avait un pinceau dans la main. Aussitôt, je me contractais.
-« Qui es-tu petit ? Qu’est-ce que tu viens faire ici ? » Me demanda-t-il avec morgue
J’étais effrayé, mais je lui répondis courageusement :
-«C’est plutôt à toi qu’il faut poser la question, surtout avec un pinceau à la main ! » j’avais craché ces derniers mots.
Il sourit :
-« Tu me plais gamin. Je vais te faire une confidence : si je tiens un pinceau, c’est pour le bruler. »
Mon cœur bondit dans ma poitrine, mes yeux s’éclaircirent. Ainsi je n’étais pas le seul à détester l’Art et ses dérivés !
Il du voir mon  changement d’attitude, et me proposa de l’accompagner avec lui dans sa tournée. J’en fus ravi, et m’empressais de lui dire que je connaissais le quartier comme ma poche, toutes les traces d’Art de la moindres des maisons. Son regard s’illumina, et c’est ainsi que je me suis illustré pour la première fois dans les brigades No-Art.

Malgré nos différences, nous devînmes inséparables, nous combinions ma connaissance de la ville a ses talents de voleur et à 2 nous ramenions plus d’œuvres que notre brigade entière.

Mais aujourd’hui, j’étais seul. J’étais revenu dans ce quartier haï de mon enfance, espérant trouver encore quelque toile, esquisses ou même des sculptures. Si quelque temps auparavant j’avais volé pour la reconnaissance, aujourd’hui, c’était par pur plaisir que j’étais venu. Un autodafé avait lieu bientôt, et je voulais faire disparaitre le plus possible d’œuvres.
La maison de FrauKunst me paraissait le meilleur lieu pour cela, et particulièrement son cabanon, où elle disait n’avoir que des vieilleries. Malheureusement, elle m’avait confié des années plus tôt que c’était ici qu’elle continuait à travailler son art.
Je forçais la porte et entrai. De tous les côtés était entassé des meubles, des livres du siècle passé. Mais je savais que la vieille armoire, au fond ouvrait sur son véritable atelier. J’y pénétrais donc silencieusement.
Mes yeux s’illuminèrent devant le trésor qui se déployait devant moi. Des tableaux étaient posés partout, il y avait à profusion des couleurs, des pinceaux. Les grands cartons à dessins et les chevalets semblaient contenir toutes les merveilles du monde. Et tout cela allait bruler. J’en aurais ri si je n’avais pas été en mission.
Je me penchais sur le premier carton qui vint et l’ouvrit. Lentement, je passais en revue toutes les œuvres qu’il contenait. J’en connaissais la plupart.
Je me relevais, content de moi. Le Delacroix sur le mur, avec sa femme dénudé (Dieu qu’elle était moche !) semblait me juger. Je le jetais à terre. Puis je pris des photos et repartit vers notre QG, de la ou les unités spéciales viendrait arracher toutes ces œuvres.
*
C’était aujourd’hui le grand jour. Tout avait été entassé et recouvert de liquide inflammable, les toiles les plus fines gondolaient déjà. Le feu partit.
J’étais heureux. Aujourd’hui commençait la fin de  l’art.

« Bip ! Bip ! Bip ! » C'était ce bruit que j'entendais une fois de plus ce matin, comme tous les autres jours, à 5h30 du matin. Ce bruit qui, bien qu'avec peine, arrivait toujours à me sortir du lit : je suis obligé de me lever à cette heure pour aller travailler à la galerie d'art contemporain de ma ville. Je déteste l'art. Surtout contemporain. Malheureusement, pour gagner ma vie, je n'ai pas d'autre choix qu'être un agent de ménage nettoyant derrière ces immondes artistes irrespectueux et visiteurs idiots. Je me dirige vers ma minuscule salle de bain pour prendre ma douche, et une fois décrassé, je m'habille lentement. Et puis je bois un café, assis sur une petite chaise jaune en plastique. Cette matinée va être horrible. La galerie ouvre à 14h, et avant ça je dois nettoyer, comme d'habitude. Mais hier était une journée infernale. Il y avait une exposition d' « oeuvres » qui dénoncent la méchanceté humaine, il paraît. Je ne vois pas en quoi des petits traits de couleurs sur des objets abîmés sont intéressants, mais soit. Le problème, c'est surtout qu'une classe de sixième, accompagnée par leur prof d'arts plastiques cinglé et par des surveillants mous comme des limaces. C'était horrible. Ils criaient partout, s'arrachaient les cheveux, couraient dans les couloirs et comme il avait plu avant qu'ils rentrent, ils ont mit de la terre partout. Et qui c'est qui va devoir nettoyer maintenant ? C'est bibi, évidemment (moi, en fait). Et le pire de tout, c'est que cet après-midi, je dois nettoyer la remise, où sont gardées toutes les œuvres d' « art ». La remise étant très poussiéreuse et très basse de plafond. Une journée géniale en perspective. J'enfile un manteau et je sors de chez moi. J'aurais dû me couvrir plus chaudement, il fait vraiment froid...Mais tant pis, mon bus ne va pas tarder à arriver et je ne veux pas le rater.

Arrivé à la galerie, c'est l'horreur. C'est pire que ce que j'imaginais. Il y a de la terre partout sur le sol, et ça rend encore plus horrible ces immondices de tableaux et de sculpture qui ne ressemblent à rien. Je passe beaucoup de temps sur les sols, avant de passer aux bas de murs. A 10h00, j'ai enfin terminé mais je dois m'attaquer au pire : la remise. Cet endroit poussiéreux rempli de choses que même les critiques d'arts jugent inutiles. Je descends les escaliers en jurant. C'est tellement sombre et plein de poussière que j'éternue tout de suite en entrant. J'allume d'abord la lumière. Je ne sais pas par où commencer. Peut être par les innombrables tableaux hideux qu'il faut dépoussiérer, où le bazar constamment dérangé. Évidemment personne n'a pensé à mettre de l'ordre dedans... Je m'arme de courage, et commence par nettoyer le bazar. Il y a des sculptures, des dessins sur feuille blanches, et il y a des fruits peints, aussi... je trouve un vinyle dans tout ça. Un groupe que je déteste. Comme si c'était de l'art. Et puis de toute façon, la musique, à part stresser tout le temps, ça ne sert à rien. Je ne comprends pas tous ces gens qui laissent les artistes se croire tout permis, ça me dépasse. Et puis il est rayé de partout. Pourquoi ne pas le jeter, sérieusement ? Après avoir mis de l'ordre dans la remise, je peux enfin rentrer chez moi. Libération. Quand je sors de cette galerie de malheur, il est 18h30. Que c'est fatiguant de faire ça tous les jours... je me pose sur mon canapé arrivé dans mon appartement, et allume la télévision. Ça parle de cinéma. Quelle horreur. Je change de chaîne, mais c'est désespérément nul. Alors je me fais à manger, dans le silence, qui me repose si bien. Et soudain, j'entends la sonnerie de mon téléphone portable.

C'est un de mes amis qui m'appelle. Il me demande si je veux aller au cinéma pour regarder un film. Je n'aime pas ça, mais je n'ai vu personne pendant une semaine, alors je dis que je suis d'accord. « Super ! Je viens te chercher dans une demi-heure ! Me dit-il. » Je me demande si j'aurais du dire oui, en fait... Mais je n'ai pas le temps de me poser la question, il vient me chercher. Je monte dans sa voiture. Le trajet ne dure pas longtemps, j'habite au centre-ville, après tout, et ce n'est pas plus mal. Nous arrivons au cinéma, et nous entrons dans la salle. Comme d'habitude quand je vais voir un film, j'ai cette désagréable sensation de vertige quand je descend les escaliers à la recherche de places. Et c'est ainsi que commencent des heures d'ennui. Évidemment, le son est tellement haut que je ne peux même pas m'endormir. Quand le film se termine, j'en veux à tout le monde dans la salle et surtout à mon ami qui m'a fait regarder un navet pareil. Je rentre chez moi à pied, furibond, et je m'allonge sur mon lit. Je suis é-pui-sé.

L'art me pourrit vraiment la vie.