C’était la dernière fois que je pourrai m’en rappeler. Je fermai les yeux, juste un instant. Et, à nouveau, je me retrouvai, des années en arrière, dans ce grand champ de fleurs, juste à côté de la maison de mes beaux-parents. Le ciel était resplendissant ; le soleil illuminait l’endroit et effleurait chaque pétale de fleur, rendant ainsi toutes les couleurs plus chatoyantes les unes que les autres. L’herbe était verte, quelques coccinelles et papillons volaient et se posaient tout autour de nous. Le grand chêne régnait au milieu du paysage comme s’il avait toujours été là, apportant un peu d’ombre juste en dessous. Et, il nous suffisait de tourner la tête pour voir la belle rivière cristalline couler à côté de nous, son cours chantonnait de beaux airs joyeux. Mon mari installait tranquillement la nappe pour le pique-nique, tandis que mes deux filles couraient dans l’herbe, s’amusaient, riaient aux éclats !
June, âgée de cinq ans à l’époque était vêtue d’une petite robe en coton rouge et blanche, elle avait comme souvent enlevé son petit chapeau de paille et ses sandales ; elle préférait courir pieds nus, sautiller partout dans le champ, chantonner le même air que les oiseaux, mettre les pieds dans la rivière en s’accrochant fermement à ma main… Elle respirait la joie de vivre, et le bonheur !
Sa sœur, Marilyn, âgée de huit ans, était plus calme, mais tout aussi joyeuse ! Elle n’aimait pas les petites robes, comme celles que portait sa sœur, elle préférait les jeans (les jupes parfois mais bof…), toujours accompagnée de sa ceinture préférée blanche, avec la boucle en forme de tulipe ! Elle courait quelques minutes en arrivant ici, ses petites baskets aux pieds, puis elle s’arrêtait et regardait la rivière, elle essayait toujours d’y voir de petits poissons, elle essayait de les attraper, mais à chaque fois, ils glissaient et retournaient dans l’eau. Alors elle attendait à nouveau, et pour patienter elle allait à quatre pattes en plein milieu de la plus haute partie du champ, où les fleurs ne sont jamais seules, toujours accompagnées de centaines de petits êtres en tout genre. Elle adorait observer un papillon s’envoler, c’était un vrai spectacle magique, tout en couleur.
Puis venait le moment de manger, le pique-nique bien étalé sur la nappe posée au bord de l’eau, à l’ombre du chêne ; le repas était toujours joyeux et amusant. Un vrai bon moment en famille !
Ensuite, comme souvent je lisais un peu, toujours à l’ombre, et c’était alors mon mari, qui courait dans l’herbe avec les filles, il les faisait rire aux larmes parfois, il les attrapait, et les chatouillait encore et encore jusqu’à ce qu’elles fassent de même avec lui. C’est souvent à ce moment-là que je quittai mon livre pour aller les rejoindre. On se retrouvait deux contre deux, les chatouilleurs, contre les chatouillées ! Même si, souvent à la fin, mon mari et moi perdions, les filles étaient plus fortes que nous à ce jeu, elles avaient tant d’énergie !
Ah ! C’étaient de bons moments… comme mon petit paradis à moi, notre petit paradis familial…
Je rouvris les yeux, non je n’étais pas dans le champ de fleurs, j’étais toujours dans la chambre, cette chambre si blanche et froide. June n’avait plus cinq ans, mais cinquante-cinq, Marilyn n’avait plus huit ans, mais cinquante-huit ans. Je n’étais plus jeune et pleine d’énergie… Je sentis mes paupières lourdes, je respirai une dernière fois et je fermai mes yeux à jamais.