[maeleo & ageneral] Ce que l'on pense tout bas

___Les chuchotis stoppèrent. Elle était entrée. Tous les jours, les chuchotis s’arrêtaient quand elle entrait, plongeant la salle dans un silence de mort. Personne, sans aucune exception, ne se risquait à parler. Pas même de chose dont elle ne se souciait pas comme les trombes d’eau qui s’écrasaient sur le sol dehors. On avait trop peur, le moindre mot de travers dit dans un chuchotement et c’était la fin. On osait même plus parler à voix haute.
___La première fois qu’elle était arrivée, personne ne savait rien sur elle. Alors on avait énormément parlé à voix basse à son propos, beaucoup s’étaient fait avoir ce jour-là. Surtout ceux qui souriaient sans rien lui dire et qui une fois le dos tourné, jasait à propos de ses cheveux dépeignés et de ses vêtements bigarrés. De ses traits grossiers et ses seins inexistants. On lui disait bonjour, lui souriait, pour ensuite la repousser à coup de commérages.
___Ils ont tous disparu. Absolument tous. Le lendemain, personne ne les avait vus. Et personne ne les avait plus jamais vus. Et ça a continué. Les disparitions ont continué. La salle devenait de plus en plus vide, de jour en jour. Et ce depuis son arrivée.
___On a vite compris, et plus personne ne parla plus d’elle dans son dos, espérant stopper les disparitions. Cependant, rien n’y faisait. Des gens continuaient de disparaître. Paniqué, on essaya de comprendre pourquoi, comment elle fonctionnait, comment elle les choisissait.
___Certains essayèrent de la stopper, mais sans succès. On ne pouvait la toucher, elle semblait hors de ce monde.
___Puis à tout hasard, on découvrit qu’elle ne s’intéressait qu’aux messes basses. Aux potins que l’on s’échangeait dans le dos des gens. Mais surtout, ce que l’on pensait réellement des personnes qui nous entouraient.
___Dans la salle, tout le monde se souriait, comme dans une utopie. Mais une personne était une personne. Ce qu’on aimait par-dessus tout, c’était parler des autres. Parfois positivement. Mais c’était rare. Non, ce qu’on aimait encore plus, c’était rabaisser les gens, parler de leurs défauts, leurs erreurs, leurs opinions… Ici, tout le monde était meilleur que tout le monde. Chacun campait sur ses positions et critiquait en secret celles des autres. Du moins jusqu’à son arrivée…
___Car en effet, c’était cela qu’elle recherchait, cela qu’elle punissait. Il suffisait d’une messe basse sur son voisin de droite pour disparaître.
___On eut alors deux choix. Plus de messes basses. Ne plus jamais parler dans le dos des gens. Leur dire la vérité. Ne pas sourire quand on n’aimait la personne qui se tenait en face. Lui dire ce qu’on pensait réellement de sa cravate, de son opinion. Paraître désintéressé quand on l’était, énervé quand on le ressentait. Être sincère.
___Mais ce ne fut pas ce choix qu’on adopta. Personne ne voulait se séparer du plaisir malsain de commérer. À ce compte-là, on préféra ne plus parler du tout lorsqu’elle se trouvait dans la salle. C’était pourquoi lorsque chaque matin elle entrait dans la salle, les chuchotis qui allaient à tout va s’arrêtaient. Celui qui arrivait après n’avait qu’à se mordre les doigts et s’abstenir jusqu’à son départ. On avait même nommé un crieur, dont le travail était de surveiller son arrivée. « Elle arrive ! » était son unique phrase.
___Pour dire la vérité, on ne savait pas réellement si c’était une « elle ». On pouvait le croire, avec ses longs cheveux et ses vêtements qui semblaient féminins. Mais son physique bourru sans formes laissait tout le monde suspicieux. Mais on avait arrêté de parler de ça. Même quand elle n’était pas là on ne parlait pas d’elle, par peur.
___Ah, comme on change difficilement les gens… Personne n’avait accepté la Sincérité qui ne faisait que de renvoyer l’Hypocrisie là où elle devait se trouver.