[Nouvelle] Le Pantin

Cette histoire, peu de personnes la connaissent. Je l'ai écrite en Août 2012 et postée quelques semaines plus tard sur la communauté skyblog afin de tester les réactions qu'elle pouvait susciter. Il s'agit d'une nouvelle policière expressément écrite pour deux personnages très charismatiques créés à l'époque : Frank Valéry et la Marionnettiste. Malheureusement, avec le recul, je trouve que l'intrigue se dégonfle peu à peu jusqu'à un dénouement assez fade. Elle sous-exploite les deux protagonistes. Cette histoire est donc longtemps restée secrète et inachevée (alors que j'avais les images et les textes prêts à la publication).
Néanmoins, la principale satisfaction qu'a pu m'apporter ce projet, ce sont les illustrations. Avec 6 sims et quelques décors, je me suis prouvée que les sims 3 offrent de belles possibilités (bien que ça demande plus de travail qu'avec les sims 2). Je tiens d'ailleurs à remercier 597694 pour m'avoir prêté sa magnifique Kaya dans le rôle de Rosa.
Aujourd'hui, je poste cette vieille nouvelle ici car, malgré mon éternelle exigence, elle n'est pas si terrible et ce serait dommage qu'elle se perde dans la jungle skyblog.

« Mme Galka ? »

Saisi par son environnement, sa voix avait manqué de fermeté. Les stores tirés filtraient la lumière. Plongés dans une semi-obscurité, une multitudes d'yeux le fixait. Visages de bois ou de pâte à papier, blancs comme la porcelaine, ternis ou vernis, percés de deux petits trous noirs ou une paire de globes laiteux. Leurs bouches étaient fendues en une moue effrayante. Serrés sur les étagères ou fièrement suspendues, une centaine de marionnettes toisait l'homme qui venait de pénétrer dans la boutique.
Mal à l'aise, il s'apprêtait à réitérer son appel lorsque la propriétaire apparut. Il se redressa et se présenta :

« Lieutenant Valéry. J'ai quelques questions à vous poser. »

Elle le fixa un instant. Ses traits durs restèrent impassibles. Une vilaine cicatrice marquait sa pommette gauche. Ses yeux clairs se détournèrent soudain.



« Ce sont eux qui vous envoient ici ? »

Dans la rue quelques badauds jetaient des regards inquisiteurs en direction de la boutique. La Marionnettiste – c'était ainsi que la surnommait les villageois – avait toujours été l'objet de toutes les rumeurs et de tous les soupçons. Son physique particulier et son art suscitaient méfiance et curiosité à peine voilées. Pourtant, ils devaient reconnaître qu'elle avait du talent. On venait des quatre coins du pays pour commander ou réparer une marionnette.

« Non, répliqua sèchement le gendarme. La victime. »

Le drame secouait le village depuis la veille, depuis la découverte du corps pendu d'Augustin Pierron. L'affaire était pour le moins désarmante, la thèse du suicide avait été immédiatement écartée. Le malheureux était mort d'un tir de fusil dans la nuque et ses quatre membres avaient été suspendus à un chêne au bord du lac, dans une position étrange. C'était un pêcheur qui avait découvert le pantin désarticulé au petit matin.

« Vous pensez vraiment que j'aurais signé mon crime de manière aussi sordide et évidente ? s'indigna la Marionnettiste. »



« Où étiez-vous dans la nuit du 3 au 4 septembre ?

- Vous n'avez pas mieux comme suspect ?

- Mme Galka, je vous serais gré de ne pas toujours répondre par une interrogation. Je mène une enquête et formule des hypothèses en fonction des éléments que je récolte. Il n'y a pas que les conditions étranges de la mort qui vous concerne. Vous avez un mobile. Augustin Pierron dérobait régulièrement des... marionnettes dans votre magasin. Je me trompe ? »

Elle étouffa un rire avec le dos de sa main et s'adossa au comptoir de caisse.



« Excusez-moi, sourit-elle. Oui, Augustin venait souvent ici. Il passait des heures à admirer mes pantins et parfois, il discutait avec eux. Quand elle était plus jeune, sa sœur l'accompagnait. Vous savez, Augustin était un enfant simple, il a grandi et l'est resté. Oui, il en empruntait souvent sans demander. Toutefois, il ne les gardait pas plus de cinq jours. J'ai fini par le laisser faire. Maintenant vous n'avez plus qu'à les interroger pour qu'elles confirment mes propos. »

Désignant ses marionnettes, elle partit d'un éclat de rire. Valéry resta de marbre.

« Mais, j'oublie mes bonnes manières, reprit-elle. Vous voulez un café ? »

Ce n'était pas de refus. Il avait à peine dormi cette nuit, trop préoccupé par cette affaire qui pouvait lui valoir une promotion si elle était réglée rapidement et sans accroc.

La Marionnettiste l’entraîna dans l'arrière boutique aménagée en atelier. Elle servit le café dans une seule tasse de porcelaine qu'elle lui tendit. Il ne put réprimer un regard soupçonneux au liquide noirâtre. Cela la fit rire :

« Allez, buvez. Il n'est pas empoisonné. Je viens juste d'en prendre un, il y a un quart d'heure à peine. »

Elle s'installa à sa table de travail, repoussa délicatement le bras d'une marionnette et l'invita à s'asseoir également. Le café était fort en épices. Il prit le temps de l'apprécier, fasciné par cet univers sorti des livres pour enfant. Pourtant, confectionner ces pantins de bois et de fils se révélait complexe. De nombreux plans étaient affichés au mur, il nota une boite à outil digne d'un mécanicien et du matériel de toute sorte s'entassant sur les étagères.



Lorsqu'il s'intéressa à nouveau à la Marionnettiste, elle semblait avoir oublié sa présence et étudiait un mécanisme miniature.

« Le café est très bon. »

Elle sourit et croisa ses mains sur la table.

« Si vous interrogez les gamins, certains vous diront que j'enlève les jeunes curieux dans mon arrière-boutique pour leur sucer le sang comme un vampire et les transformer en marionnettes. Aucun adulte n'a cherché à démentir cette rumeur farfelue. Les gens différents effraient davantage les aînés qu'ils n'intriguent les enfants. Augustin était différent. C'est triste qu'il s'en soit allé ainsi. »



Valéry la détailla un instant. Depuis qu'il avait passé le pas de la porte, il n'avait pas pris la peine d'observer sa suspecte comme il le faisait d'ordinaire. C'était une belle femme d'âge mûr. De longs cheveux auburn rehaussaient la pâleur de sa peau. Son nez était aquilin et ses lèvres rouges, pulpeuses. Il ne put réprimer un frisson. En effet, il y avait quelque chose dans son apparence pouvant évoquer une stryge.
La sonnette retentit soudain.

« Valéry ?! »



Un agent apparut, visiblement pressé.

« On a reçu les premiers résultats du légiste. »

Il jeta un coup d'oeil suspicieux à la Marionnettiste. Celle-ci n'avait pas prêté attention à son arrivée. Elle étudiait avec précaution une pièce de bois, comme on ausculte un patient. Le lieutenant posa la tasse vide sur la table et se leva.

« Je vous remercie pour le café. Je repasserai. »

Elle lui adressa un signe de tête en guise de salutation.

Valéry connut une nouvelle nuit blanche. Il n'était pas rentré chez lui. Le cadre professionnel l'aidait à raisonner méthodiquement. Il avait repoussé quelques dossiers pour étaler à son aise les différents éléments de l'enquête à sa disposition : des photos de la scène du crime, des notes prises lors des témoignages, quelques feuilles d'informations sur la victime et ses relations, ainsi que le premier rapport du légiste. Il confirmait la mort aux alentours de 18h. Une balle de fusil calibre 16 s'était fragmenté à la base de la nuque fracturant les vertèbres et provoquant une hémorragie. Le corps avait plongé vers l'avant, tête dans l'eau, qui arrivait à hauteur de mollet à cet endroit du lac. Puis, il avait été traîné sur la berge et accroché. Rien de probant à part des impacts de balle indiquant deux tirs manqués et un préservatif que le lac avait recraché quoiqu'on ne fusse pas certain qu'il ait un lien avec le crime.

L'officier grignota son sandwich, sans appétit. Une énième fois, il récapitula mentalement ce qu'il avait appris sur la victime. Augustin Pierron, la vingtaine, avait toujours vécu à Valfroicourt. Il avait suivi une scolarité normale jusqu'au décès de son père d'un cancer du poumon. C'était un garçon décrit comme gentil et simple d'esprit. Il était resté aux côtés de sa mère pendant ses premières années de veuvage. Puis, un ami de la famille l'avait engagé par sympathie comme commis. Il n'était jamais vraiment sorti de l'enfance alors que sa cadette de trois ans, Rosa, était une jeune fille précoce. Étonnamment, cette dernière avait été adoptée à sa naissance. Plus surprenant encore, l'identité de sa mère biologique : Romane Branislav Galka. Aujourd'hui, c'était un nouveau drame qui ébranlait cette famille. Elisabeth Pierron et Rosa étaient inconsolables et plongées dans l'incompréhension la plus totale.



Valéry était également perplexe. Tout désignait la Marionnettiste comme suspecte : la mise en scène, les témoignages des voisins, et... Comme le premier des débutants, il s'était fait piéger par cette curieuse femme. Il en avait oublié les questions essentielles, fasciné par tous ses pantins inanimés. Les quelques mots qu'ils avaient échangés avaient suffi à effacer toute suspicion. En effet, quelque chose ne collait pas. Pourquoi aurait-elle signé son crime de manière aussi évidente ? Que ce soit elle ou quelqu'un d'autre, pourquoi s'en être pris à un gamin innocent ?

Il se prit la tête dans les mains et reconsidéra les photos. Les cordes utilisées pour attacher le mort aux branches avaient été prises dans une barque accostée à quelques mètres sur la berge. Les nœuds étaient assez grossiers, comme réalisés dans la précipitation... C'était un miracle qu'ils eussent tenu toute la nuit. Forcément, il n'y avait pas de témoin. A cette heure tardive de l'après-midi, le bois était plongé dans la pénombre. On était samedi, hormis Augustin, personne ne se trouvait aux abords du lac. Plusieurs sentiers y menaient. Difficile de comparer les relevés ADN de 500 habitants. A moins de vérifier tous les fusils et autre carabine du village. Et encore, il y avait les chasseurs et ceux qui ne s'en servaient que rarement... Valéry se trouvait dans une impasse. Ses paupières s'alourdirent, il était 2h30.



Soudain, la porte s'ouvrit et elle apparut. Sa peau était plus pâle encore, ses yeux clairs translucides et sa chevelure quasi rousse. Sa jupe fendue dévoilait une jambe interminable. Elle était hypnotique. Il resta paralyser. La Marionnettiste s'avança vers lui d'une démarche aérienne. Elle lui souriait, de ce sourire énigmatique qui l'avait désarçonné lors de leur première rencontre.



Elle s'arrêta soudain pour essuyer quelque chose qui coulait de sa lèvre inférieure. C'était rouge. Rouge comme du sang. Du sang d'enfant. Il en avait l'angoissante certitude !...

« Valéry ?! »

Le lieutenant sursauta, il se redressa. C'était l'agent Miquel qui venait de pénétrer dans son bureau. Celui-ci posa un café à côté de la photocopieuse et remonta les stores. Son supérieur se frotta les yeux pour achever de se réveiller. Il se sentait idiot de s'être endormi de la sorte. Il jeta les restes de son sandwich à la poubelle et attrapa prestement le gobelet fumant.



« Quelle heure est-il ?

- 8h30. On va perquisitionner chez Galka ?

- Euh... oui. Même si je doute fort que nous trouvions quelque chose de probant, elle est trop futée pour cela. Tu t'occupes du mandat. Je vais voir si on n'a pas une piste du côté du fusil et des Pierron... »

Miquel s'exécuta. Valéry était encore glacé par l'apparition de son cauchemar et son café ne parvint pas à le rasséréner.

L'allée des hortensias portait bien son nom : une charmante rue pavée bordée d'arbustes en fleur. La première fois qu'il était venu ici, Valéry n'avait pas prêté attention à la beauté du lieu, trop préoccupé par l'entretien avec la famille de la victime. La demeure des Pierron était coquette, très fleurie et arborant un crépi rose. Le lieutenant marqua un temps d'arrêt devant le seuil. Il devait trouver les bons mots pour ne pas froisser la veuve qui vivait des heures douloureuses. Malgré l'habitude, les entretiens étaient toujours délicats. Bien qu'il soit très apprécié pour son esprit vif et perspicace, il manquait parfois de tact. Ses collègues le charriaient sur son célibat. S'il avait une femme, elle saurait l'adoucir.
Il sonna à la porte, entendit des chaises racler le sol. Elizabeth ouvrit. Des poches grises s'étaient formées sous ses yeux tirés d'avoir trop pleurer. Des plis amers marquaient les coins de sa bouche. Elle ne sembla pas apprécier sa venue.

« Bonjour Mme Pierron. Je ne vais pas vous déranger longtemps. L'enquête avance bien. Je souhaite juste savoir si vous êtes en possession d'un fusil ?

- Qu'est-ce que vous insinuez ? s'empourpra-t-elle.

- Rien mais vous comprendrez que nous ne pouvons négliger aucune piste.

- Suivez-moi. Il est dans le hangar à bois, maugréa-t-elle. La dernière fois qu'il a servi, c'était à l'époque où André avait encore la santé. »



Valéry dut reconnaître que le fusil des Pierron n'avait plus rien d'une arme en état de fonctionner. Rongé par la rouille et en pièces détachés, il était partiellement recouvert de sciures de bois. Le lieutenant prit donc congé poliment.

Alors qu'il descendait la rue des hortensias, il aperçut une femme d'âge mûr étendant son linge devant une maison en pierres blanches. De mémoire, il s'agissait de Mme Villert : ouvrière textile à la retraite, mariée et maire de trois enfants adultes et indépendants.

« Bonjour Mme Villert ! »



Elle se redressa et l'aperçut. Un sourire éclatant se dessina sur ses lèvres :

« Oh ! Bonjour Mr l'inspecteur ! Votre enquête avance ?

- Ça avance.

- Vous êtes pressé ? Je peux vous offrir un café ? »

Le lieutenant accepta, se félicitant intérieurement. Il allait pouvoir habilement lui poser toutes les questions qu'il souhaitait. L'intérieur était à l'image de l'extérieur : coquet bien que la décoration soit assez sobre et hétéroclite. Il s'installa à une table ronde voilée d'une nappe fleurie. Mme Villert fit ronronner la cafetière. Il eut tout le loisir de l'observer. Le cheveu terne et la peau sillonnée de rides, elle avait du s'exposer de longues heures au soleil dans sa jeunesse. Ses lèvres rougies et ses yeux noircis témoignaient un certain besoin de plaire.
Toujours souriante, la femme revenait déjà un plateau dans les mains, chargé de deux tasses et de petits gâteaux.



« Pauvre Elizabeth quand j'y pense. A peine a-t-elle réussi à faire le deuil d'André qu'elle perd son petit garçon. On ne devrait pas survivre à ses enfants, soupira-t-elle. »

Valéry acquiesça en silence.

« Avez-vous remarqué quelque chose d'anormal dans les jours qui ont précédé son meurtre ? »

Il en était arrivé à la conclusion suivante : si on ne pouvait rien reprocher au simplet Augustin, soit on avait voulu le faire taire après qu'il ait été témoin d'un acte compromettant, soit on souhaitait à travers sa mort atteindre quelqu'un d'autre...

« Non rien de particulier. A part Mr Bernéand qui s'est excité contre le facteur... mais ce n'est pas la première fois. Il est du genre à ne pas mettre que du lait dans son bol le matin, si vous voyez ce que je veux dire. »

Elle versa le café noir dans les deux tasses et s'assit.



« Et mon petit dernier est arrivé vendredi donc j'ai été bien occupé, entre les lessives et le ménage dans la maison.

- Très bien. Et vous êtes en quels termes avec les Pierron ? »

Il accompagna sa question d'un sourire aimable. Mme Villert ne parut pas déstabilisée.

« Elizabeth est une bonne amie, de longue date. On participe au même atelier de couture. Ou plutôt participait. Depuis la mort d'André, elle préfère travailler chez elle. Pas pour le plaisir, mais contre rémunération... Et puis, il y a mon Cyril qui s'entend très bien avec la petite Rosa. »

Cette femme soupirait autant qu'elle souriait. C'était assez surprenant. Valéry nota qu'elle rosit légèrement lorsqu'elle mentionna son fils...

« Et quelle est la nature de leur relation ?

- Oh ils passent beaucoup de temps ensemble mais ce ne sont que des amis d'enfance. Rien de plus. Sinon, mon fils me l'aurait dit, ajouta-t-elle en lui adressant un clin d'œil. »

Une porte claqua et une silhouette élancée apparut.

« Ah le voilà ! s'exclama Mme Villert en se levant. Cyril, l'inspecteur nous a fait le plaisir de venir boire le café. »



Le jeune homme passa une main dans ses cheveux et salua Valéry d'un bref hochement de tête. Visiblement contrarié, il quitta la pièce sans un mot.

« Excusez le, sourit sa mère. Il est assez préoccupé en ce moment. Ses études lui prennent beaucoup de temps.

- Dites, votre mari est chasseur ? »

Sans prêter attention à sa remarque, le lieutenant désigna une tête de sanglier empaillée sur le mur du salon.



« Oui, oui ! Tous les dimanches avec ses amis du bar ils s'organisent une après-midi chasse, s'enthousiasma Mme Villert, ravie de changer de sujet de conversation. Bon, pas hier exceptionnellement, à cause de vous savez quoi...

- Ah d'accord. Vous pouvez me montrer son fusil ? Simple vérification, vous comprenez.

- Oui bien sûr ! Suivez-moi. »



Ce fut dans un atelier très lumineux et rangé méticuleusement que Valéry trouva l'arme du crime. Il remarqua tout de suite les traces de poudre mais n'en souffla mot.

« Seul Mr Villert chasse ?

- Oui. Cyril trouve ça ringard et ses sœurs ne s'y intéressent pas davantage.

- Ça ne vous dérange pas si je vous l'emprunte ? C'est pour quelques contrôles mais rien de grave, rassurez vous. »

Valéry pria intérieurement pour que la charmante Mme Villert accepte. Avec le peu de preuves qu'il avait, il ne pourrait pas obtenir de mandat de perquisition.

« Oui pas de problème Mr l'inspecteur, l'autorisa-t-elle sans se départir de son sourire. Faites votre travail ! »

Une fois qu'il eut saisi l'arme avec son mouchoir, il ne s'attarda pas. Il la remercia pour le café, lui assura qu'il était très bon alors qu'il l'avait trouvé fade. A peine dehors, il appela Miquel.



« Tu en es où ? l'interrogea-t-il.

- J'ai le mandat, j'arrive chez Galka avec deux gars. Et le fusil, ça a donné quoi lieutenant ?

- Je crois que la chance m'a souri. Même si je n'ai trouvé ni le mobile, ni le meurtrier, mon instinct me dit que je suis en possession de l'arme. »

Valéry suivait son instinct et cela se révélait souvent payant. Certains appelaient ça de la chance, lui croyait à un sixième sens.

« Mais on ne change rien Miquel, poursuivit-il. Occupez vous de la Mar... Galka ! Et, ensuite, vous ferez un petit tour chez les Villert pour les prélèvements de routine : empreinte, salive...

- Ok lieutenant.

- ...

- Valéry ?

- Je te rappelle Miquel. »

A une dizaine de mètres, une jeune fille blonde sortait de la demeure des Pierron. Rosa. En quelques enjambées, elle rejoignit Cyril Villert accoudé à la clôture. Ils échangèrent quelques mots, elle s'accrocha à sa chemise. Il la repoussa. Valéry se dissimula derrière un hortensia pour suivre la scène sans risquer d'être vu. Il ne pouvait pas entendre ce qu'ils disaient. Toutefois, il devinait aisément ce qu'on lui avait tu. Les épaules de Rosa tressautèrent, elle cacha son visage dans ses mains. Alors, son « ami d'enfance » l'attira affectueusement dans ses bras, lui déposa un baiser sur le front. Elle releva la tête et lui offrit ses lèvres.
A l'évidence, Mme Villert n'était pas au courant de tout...

Quatre jours s'étaient écoulés depuis la mort d'Augustin Pierron et les pièces du puzzle commençaient enfin à s'assembler. La pièce manquante : Rosa.

L'arme retrouvée chez les Villert était celle qui avait servi à tuer le jeune homme. Très certainement utilisée par le fils Cyril. La scientifique était formelle :

« J'ai comparé les empreintes comme vous me l'avez demandé et elles correspondent. Mais, j'ai trouvé plus intéressant. Ce fusil date des années 60 et il est toujours en parfait état de fonctionnement. Toutes les pièces sont d'origine, aucune n'a rouillé. Son propriétaire devait en prendre grand soin. »

La blonde en blouse blanche l'avait interrogé du regard dans l'attente d'une réaction. Valéry avait gardé ses réflexions pour lui. Soit Mr Villert avait oublié de nettoyer son arme sous l'effet de la panique, soit quelqu'un d'autre en avait fait usage puis avait omis de l'astiquer par négligence. La deuxième hypothèse était la plus probable et corroborait la présence des empreintes de Cyril. Néanmoins, la raison du meurtre lui échappait toujours...

Alors, quoi de mieux pour s'éclaircir les idées que d'écouter la voix soul de Ray Charles ? Valéry quitta le commissariat alors que le soleil déclinait à l'horizon. Il alluma son lecteur CD et roula jusqu'au bourg de Valfroicourt, faisant fi des radars automatique.



Il n'eut pas le temps de pousser la porte de la boutique, la Marionnettiste lui ouvrit. Son visage était fermé, elle se contenta d'un simple « elle est là-haut ».  Il fallait préciser que Valéry n'était pas étranger à cet accueil glacial. Il lui avait fait du chantage. Il était conscient que, si la Marionnettiste était venue s'installer dans ce village perdu, en toute discrétion, c'était pour sa fille : Rosa. En faisant éclater la vérité sur leurs liens parentaux, elle s'attirerait les foudres des habitants, déjà suspicieux. Donc, lorsqu'il lui avait demandé de s'organiser pour parler en privé avec la jeune Pierron, elle avait obtempéré. Flic sans foi ni loi avait plaisanté Miquel...

Ils traversèrent l'atelier et montèrent à l'étage par un escalier en colimaçon. Un simple rideau séparait le salon du couloir. La Marionnettiste l'arrêta d'un geste alors qu'il allait pénétrer dans la pièce.



« Si je le fais, ce n'est pas à cause de vos menaces. C'est pour elle. »

Valéry la dévisagea un instant puis entra.

Sa robe à dentelles s'accordait étonnamment bien avec le décor trop lumineux, trop fleuri. Valéry tenta de dissiper le malaise qui l'avait saisi lorsqu'il avait croisé son regard. Il l'avait déjà rencontrée le lendemain du meurtre mais, elle avait toujours détourné les yeux. Il avait mis cette réaction sur le compte du chagrin qui l'accablait.

Rosa avait compris avant que la Marionnettiste ne présente le lieutenant. Une expression d'effroi se peignit sur son visage. Il la vit chercher une issue pour fuir, paniquée.

« Bonjour Mlle Pierron, j'aurais quelques questions à vous poser. Si vous voulez bien...

- Pourquoi m'avoir fait venir ici ? attaqua-t-elle avant d'interroger du regard sa mère adoptive.

- Ce salon est tout de même plus agréable que le commissariat, lui sourit-il. »



La diplomatie n'était pas son fort et il désirait rapidement entrer dans le vif du sujet. Il avait conscience que la salle d'interrogatoire l'aurait bloquée et, dans sa propre maison, elle se serait raccrochée à ces petits riens qui vous donne la force de faire face. Là, il la prenait au dépourvu. C'était parfait.
La Marionnettiste s'approcha de la baie vitrée afin de laisser Valéry libre de poser ses questions. Elle préféra admirer la vue, toujours inexpressive.

« On a retrouvé de longs cheveux blonds sur le corps de votre frère. »

Il marqua une pause. Bien entendu, c'était du bluff. Il était tout naturel que quelques cheveux soient tombés sur les vêtements d'Augustin : ils vivaient ensemble. Il la sentait vulnérable, il voulait la faire craquer.

« Ce qui m'amène à me poser certaines questions, reprit-il. Vous allez m'aider à y répondre mademoiselle.

- Je... s'étrangla-t-elle.

- Mme Villert m'a dit que vous connaissez bien son fils, Cyril ? enchaîna-t-il. »

Son visage se décomposa. Il porta le coup de grâce, toujours par des accusations voilées :

« Il manie bien le fusil, il me semble ? »



La jeune fille ne put retenir ses larmes. Les commissures de sa bouche charmante s'affaissèrent. Elle étouffa un sanglot qui se transforma en une sorte de râle et se prit la tête entre les mains. Plusieurs minutes de silence suivirent. Le fruit est mûr, pensa Valéry. Il ne servait à rien de le presser davantage.
Elle repoussa quelques mèches derrière son oreille et inspira profondément.

« Je vais tout vous expliquer... »

Le lieutenant croisa le regard de la Marionnettiste. Il sut qu'elle savait.

« Cyril a toujours été ainsi. Il a toujours eu le besoin de prouver qu'il était le plus fort. Petit, c'était lui qui courait le plus vite, crachait le plus loin ou sautait le plus haut. On s'est toujours bien entendu... On était ami... même s'il n'aimait pas le dire. On ne peut pas éprouver de l'amitié envers une fille. Il était très macho. Sauf avec moi. J'avais peut-être réussi à l'amadouer ou, du moins, lui inspirer confiance. »

Elle haussa les épaules et émit un petit ricanement.

« Vous parlez au passé... nota à voix haute Valéry.

- Oui... Parce qu'on a grandit. On a poursuivi nos études chacun de notre côté. Il a deux ans de plus que moi. En janvier dernier, on s'est croisé en ville mais c'était différent. On a commencé à fréquenter le même quartier, les mêmes bars... »

Elle rougit jusqu'à la racine des cheveux.

« On a flirté... C'était assez malsain... Je le voyais souvent avec d'autres filles. Il était même un peu violent... Parfois. Avec moi, c'était différent, c'était un jeu... Avec moi, ça a toujours été différent, répéta-t-elle amèrement. »

La jeune fille releva la tête. Elle chercha à se noyer dans le bleu du ciel tâché de mauve. En vain. Elle déglutit, elle devait affronter la réalité.

« Samedi, il est revenu à Valfroicourt. C'est plutôt rare... Il était maussade, la campagne l'ennuie. Je lui ai proposé d'aller faire un tour en forêt. Il a paru très excité de la proposition. Comme un gosse. Il a pris le fusil de son père et on est parti. Il ne s'en est pas servi... On a discuté sur le chemin et... Enfin... On est allé bien au-delà de l'amitié et du flirt.



C'était... Je préfère oublier... Quand le soleil a commencé à décliner, on a décidé de rentrer. On était heureux. Mais, Cyril a subitement eu envie de chasser. Il n'avait rien à me prouver, pas après... »

Elle étouffa un sanglot et croisa les bras pour éviter de trembler.

« Cyril a toujours eu besoin de se prouver des choses. A lui-même. Il a tiré sur des tourterelles. Forcément, il les loupait... On était près du lac. Il y avait... Augustin. On ne la sut qu'après. »

Chacun de ses déglutitions semblait être un supplice.

« Cyril s'est chargé de tout, il était terrifié. J'ai erré jusqu'ici, il fallait que je la prévienne de son idée idiote, continua-t-elle en regardant la Marionnettiste avec tristesse et reconnaissance. Puis, je suis rentrée. Je me sentais tellement seule. A chaque claquement de porte, je croyais qu'on venait me chercher. Et aujourd'hui...
J'ai eu l'impression de mourir. De mourir deux fois. »


Les pièces du puzzle s'étaient assemblées. Valéry la remercia et lui fit signe qu'elle pouvait s'en aller. D'abord perplexe, elle se leva mécaniquement et quitta la pièce.

« Vous ne l'arrêtez pas pour complicité ?

- Non. La culpabilité à vie est une punition amplement suffisante, murmura Valéry. Si Cyril l'aime assez, il ne la mentionnera pas au procès. Lui, en revanche, risque trois ans de prison ferme pour homicide involontaire et port d'arme illégal. »

Puis, comme s'il se réveillait d'un mauvais rêve, il se tourna vers la Marionnettiste, ou plutôt Romane Branislav Galka.

« Vous étiez au courant depuis le début, n'est-ce pas ? »

Sa question n'était pas calculée et elle ne lui répondit pas. Du moins, pas directement.

« J'ai commis de nombreuses erreurs dans ma vie. Faire adopter Rosa n'en était pas une.

- Pourtant, vous êtes venue ici pour elle...

- Oui, j'avais besoin de savoir si j'avais fait le bon choix. Pour ne pas avoir de regret...

- Vous en avez ?

- Non. La confiance qu'elle m'a accordée me suffit... »

Valéry se surprit à attendre la suite mais le silence se prolongea. Elle lui adressa son étrange sourire.


« Vous savez, si les gens parlent beaucoup, c'est pour mieux se taire... »

Et elle n'était pas « ces gens »...