Elle me regardait, avec son air condescendant, je vis son regard parcourir mes jambes tremblotantes, puis mon ventre, enfin mon visage crispé. Puis elle fit ce petit rictus désapprobateur, et hautain. Chaque fois que je la voyais, c’était la même chose, je ne pouvais jamais accéder à mon casier en paix si elle était à côté. Alors quoi, parce que je ne porte pas le dernier pantalon à la mode, parce que je ne m’habille pas dans les grands magasins, parce que je ne me tartine pas la figure de maquillage comme elle tous les matins, je ne suis pas quelqu’un de bien ? Je n’ai pas le droit à être tranquille, au respect ? J’ai l’impression que c’est ce qu’elle pense ! 

« C’est bon, je peux passer maintenant ? lui demandais-je sachant que j’allais me faire rabrouer
-Tu sais Noémie, je pourrais t’aider à combler ce manque de style…
-Merci, mais non merci, lui répondis-je, maintenant laisse-moi pass… »

Elle me retint avec son bras, avant de rire comme une sorcière : « Hahahahahaha ». Ce rire. Je détestais ce rire, il était si méprisant… J’avais toujours envie de lui envoyer à la figure ce qui se trouvait sur ma main, mais il fallait que je me contienne.

« C’est bon ? T’as fini ton cirque de poupée barbie ? Je peux y aller ? lui demandais-je un peu agressivement
-Bah alors Noémoche ? Un problème ? »
Le rouge me monta aux joues, ce stupide surnom, pensais-je… Elle me l’avait donné à l’entrée du collège, parce qu’elle ne me trouvait pas « à la mode », et tout le monde –ou presque- l’avait suivi.  A l’époque, elle avait pleuré, et tout le monde –encore une fois ou presque- s’était moqué d’elle. Ce surnom, si elle avait pu, elle lui aurait fait la peau, et elle l’aurait utilisé pour étrangler son interlocutrice…

« T’en as pas assez d’embêter tout le monde ? lui répondis-je sans grande conviction
-Je ne veux que t’aider moi ! me dit-elle ironiquement
-Si tu veux m’aider fiche-moi la paix ! »
Je devais prendre sur moi, encore et toujours. Après tout, je n’étais que la fille solitaire et violente du dernier rang de la classe, elle c’était Amber, la fille adulée par tous, première de la classe…
« Je savais que tu n’étais pas assez bien pour recevoir mon aide ! T’as qu’à faire comme toujours, éloigne-toi de tout le monde Mlle l’associable !
-J’ai pas besoin de ton aide ! Merci bien, maintenant fiche moi la paix ! » 

Sans même m’en rendre compte, j’avais crié, si bien que tous les élèves du couloir me regardaient, ils me dévisageaient tous, je n’entendais pas ce qu’ils disaient, mais je sentais qu’ils se moquaient tous de moi. Je la poussai légèrement pour accéder à mon casier, je pris mes livres et allai en cours. La matinée passa vite, puis vint l’heure du déjeuner… 

Rebelote, je recroisai Amber au self, la seule place qui restait de libre dans la salle du bas était à sa table, et la salle du haut était bien sûr fermée pour travaux. Je dus m’asseoir, le plus possible en bout de table.

« Tiens, regardez les amis, Noémoche est de retour ! » Lança Amber
 Je me dis que la meilleure défense était de l’ignorer, elle allait finir par me laisser… Grossière erreur.
« Hé les amis, Noémoche a perdu la parole ! Hahahaha ! »
Encore ce rire, encore ce stupide rire !
« Mieux vaut se taire que de laisser sortir des bêtises de sa bouche, rétorquais-je !
-Oh, je vais pleurer, tu es vilaine Noémoche, me dit-elle, avec un sourire narquois au coin des lèvres. »
Une fois de plus, je me tus, visiblement, rien ne pouvait atteindre son égo, quelle sale peste cette fille !

« Tu n’as plus rien à dire ? Oh bah alors c’est dommage ça ! »

Cette fois, s’en était trop, je pris ma canette de soda, l’ouvrit, et je la lui versai sur la tête avant de m’en aller. Je sentis le regard de tout le monde sur moi, mais cette fois, ce n’étais pas de la moquerie…

- EVELYNE !

La journée avait pourtant bien commencé. Mais un jour complet sans cri, ça semble trop demander. La secrétaire ne connaît ce hurlement que trop bien. C'est celui d'un homme odieux au possible. De cette engeance qui n'a d'yeux que pour elle. Son patron.

Elle se lève donc de son fauteuil,se dirige calmement vers le fond du couloir et frappe doucement à la porte imposante, avant de pénétrer dans la pièce. D'entrée de jeu, la démesure du lieu lui saute aux yeux et la met mal à l'aise. Entre le bureau en chêne massif, le fauteuil en cuir, les immenses bibliothèques et les tapisseries, tout respire le luxe et le pouvoir. Sans compter la vue plongeante sur toute la ville depuis les baies vitrées. Évelyne se sent insignifiante et ridicule dans ce cabinet. Ce qui, connaissant son occupant, est sûrement calculé. Car Monsieur  aime faire forte impression sur son auditoire, quel qu'il soit. Des employés de bureau comme elle, qu'il méprise, aux grands de ce monde qui viennent recourir à ses services. Rien que sa devise en dit long sur lui : « tout réussit à Marek de Witt » !

Le personnage lui-même n'est que suffisance. Sous son costume trois-pièces tiré à quatre épingles et ses cheveux soigneusement coiffés, son arrogance sue par tous les pores de sa peau. Même assis derrière sa table de travail, il domine Évelyne du regard. Un profond mécontentement y transparaît, ainsi que dans son attitude, la tête posée sur ses mains jointes, le visage crispé.

- Monsieur ?
- Où sont donc ces fichus contrats Azur ? Il me les faut au plus vite, je vous l'ai déjà dit ! Mais vous l'avez manifestement oublié !
- Je ne comprends pas, Monsieur, répond-elle humblement, je l'ai déposé sur votre bureau hier soir, comme vous me l'aviez demandé.
- C'est bien le problème avec vous Évelyne, s'énerve-t-il alors, vous ne comprenez jamais rien à rien ! Si vous l'aviez mis sur le bureau, vous pensez bien que je l'aurai vu ! Et je ne serais pas en train de perdre mon temps avec une incapable comme vous !
- Pardonnez-moi, Monsieur, mais ils doivent être sur votre bureau. Peut-être sous le courrier de ce matin..., répond-elle en soulevant les quelques enveloppes. Le voilà !
- Heureusement pour vous ! On n'a pas idée de déposer le courrier sur des contrats de cette importance !
- Ça ne se reproduira plus, Monsieur, s'excuse-t-elle, tout en sachant parfaitement qu'elle lui a remis le courrier en mains propres à son arrivée.
- J'espère bien, rétorque-t-il, hargneux, avant de la congédier d'un geste de la main, sans même un regard, et de se replonger dans ses dossiers comme si de rien n'était.

Mais comment peut-on être aussi incompétent ? Pour Marek qui excelle dans ce qu'il fait, la moindre des choses, c'est que ses collaborateurs soient tout aussi brillants ! Pourtant cette secrétaire a été au service de requins aussi exigeants que lui, elle devrait connaître son travail ! Encore heureux qu'elle ne lui fasse pas de scènes. Pas comme cette stagiaire du mois dernier ; à la moindre remarque, elle se mettait à pleurer comme une gamine. Et ça veut travailler dans la finance ! Elle n'a même pas tenu une semaine !

Marek prend quelques minutes pour se ressaisir en fermant les yeux. Un souvenir lui revient en mémoire. Du genre qu'on préfère refouler...

Il se rappelle ce jour où, petit garçon fier de lui après avoir été premier de la classe, il rentrait à la maison. Ses parents, encore au travail, ne rentreraient que plus tard, à l'heure du dîner. Le jeune Marek était impatient de leur annoncer la bonne nouvelle !  L'attente fut longue, mais ils arrivèrent finalement et la famille passa à table. Ses parents se racontèrent leur journée respective, inintéressante pour le garçonnet, qui attendait le moment où il pourrait parler. Il ne put réprimer un bâillement. Ce qui mit son père en rage.

- Si nous te dérangeons, tu peux sortir de table, Marek.
- Mais...
- Pas de mais, jeune homme,  je t'ai demandé de sortir de table
- J'ai été premier à la dernière interrogation, je croyais que ça vous ferait plaisir !
- Ce n'est pas une excuse pour nous manquer de respect à moi et à ta mère ! Quand je t'ordonne quelque chose, j'attends de toi que tu m'obéisses ! Dans ta chambre immédiatement !

Et le voilà, une fois de plus, quittant la table et se dirigeant vers sa chambre, en larmes.