Assise sur
mi cama, un livre sur mes genoux, devant la fenêtre, je laissai mon regard se promener dans la rue principale de San Pedro. On entendait, ça et là, les marchands qui criaient :
« Elles sont bonnes mes salades, elles sont bonnes ! Et bon marché en plus ! » « Poissons frais pas chers ! »
Haz barato, y venderás por cuatro. (A bon marché, clientèle triplée.)
Ah, l’agitation qui régnait dans la rue était fort divertissante. Je ris toute seule puis laissai libre cours à mes pensées.
Esteban... Avec ses yeux de braise, il me faisait fondre comme neige au soleil. Enfin, s’il neigeait un jour sur San Pedro. Ce n’était pas gagné. Nous, tout ce que nous avions, c’était de la pluie et du soleil.
Mais de toute manière, cela ne changeait rien. Esteban était tellement, tellement... Tellement tout quoi !
Un tintement de cloches me sortit de mes rêveries. C’était Don Alarico qui rentrait ses brebis des pâturages. Oh non ! Celles-ci agitaient leurs têtes de façon à ce que leurs grelots tintent.
Quand brebis secouent leur cloche, pluie en montagne est proche.Zut alors, demain j’avais rendez-vous avec Esteban. Encore fallait-il que Pedro,
mi padre, accepte de me laisser seule avec mon
enamorado. Mais de toute manière, je n’irai pas demander à mon père son avis.
Déjà, on entendait le
trueno. Pff.
Comme pour me réconforter,
mi gato se rapprocha de moi et se frotta contre mes jambes avant de sauter sur mes genoux et de quémander d’autre caresses. Amusée, je délaissai
mi libro et lui accordai ce qu’il m’avait demandé. Soudain, il se gratta l’oreille.
Si le chat se frotte l'oreille, le mistral se réveille.Mince alors ! Manquait plus qu’il ne se...
Quand le chat passe sa patte sur la tête, bientôt il fera tempête.Génial, il le fit.
Roooh ! Maudit
gato ! (Oui, dans notre
pueblo, on croyait tous à ses dictons. Qui d’ailleurs se révélaient souvent vrais.) Mais bon, malgré le fait que j’avais foi en ces « prédictions », j’aimais à croire que demain il ferait beau.
De esperanza vive el hombre. (L’espoir fait vivre.)
***
Le soir, on n’entendait plus qu’un lointain grondement d’orage.
El viento et
la lluvia n’étaient plus qu’un souvenir. Ma mère, Doña Esmeralda regardait le temps qu’il faisait.
-Eh bien,
el cielo es d’une drôle de couleur. On dirait qu’un volcan a craché
su lava dessus !
Mi padre se leva et regarda par la fenêtre. Il était surpris que le ciel puisse être d’une couleur comme celle-ci. Quant à moi, je souriais.
Temps rouge le soir, laisse bon espoir ; temps rouge le matin, pluie en chemin.Ce soir-là, je mangeai d’un bon appétit les aiguillettes de poulet à la catalane. Cela surprit
mi madre car habituellement, je picorai comme
una ave.
Je me couchai,
el corazón léger. Cette nuit, je dormis comme
un ángel. Esteban peupla ma nuit, ses yeux de braise me réchauffant,
sus labios m’embrassant délicatement, ses mains frôlant les miennes. Aucun nuage ne vint troubler ces magnifiques
sueños.
***
Le lendemain matin, je me réveillai en sentant qu’une présence remuait contre mes jambes
Ce n’était que
mi gato qui changeait de place. Le fripon ! Il avait dormi sur
mi cama ! Je ris doucement. Puis, pour ne pas le réveiller, je sortis délicatement de mon lit. Il faisait chaud et
el sol brillait. La rue principale ruisselait de soleil. C’était magnifique. Je regardai ensuite l’heure. 10 heures, déjà !
Mi enamorado m’attendait à 11h près de l’étang. Je me coiffai, m’habillai le plus joliment possible et allai dans la meilleure des boulangeries selon moi :
El Pan DoradoJe pris un croissant encore chaud, et le mangeai sur la route qui menait à
el estanque. Esteban m’attendait. Je m’approchai doucement.
-Hey. ¿ Cómo estás ?- No estoy bene. *Pas bien.*
- ¿ Por qué ? *Pourquoi ?*
-Agata, je dois te dire quelque chose, fit-il soudain en français.
On entendit
el trueno au loin.
-Qu’y a-t-il ? demandai-je, soudain inquiète.
Entre nous deux, on utilisait le français uniquement quand c’était grave.
Après une longue explication qui me laissa sans voix, je me retournai et attendis que les
gruesas nubes negras soient au-dessus de nous. Soudain,
la lluvia se mit à tomber. Je me retournai et lui dis ceci :
- ¡ Esteban, hijo de perro, no quiero volverte a ver en mi vida ! « Si un jour tu dois me quitter, dis-le moi sous la pluie pour ne pas voir mes larmes couler. »
Lexique hors texte :
Mi cama : mon lit
Mi padre : mon père
Enamorado : amoureux
El trueno : le tonnerre
Mi gato : mon chat
Pueblo : village
El viento : le vent
La lluvia : la pluie
El cielo es : le ciel est
Su lava : sa lave
Mi madre : ma mère
Una ave : un oiseau
El corazón : le cœur
Un ángel : un ange
Sus labios : ses lèvres
Sueños : rêves
El sol : le soleil
El Pan Dorado : Le Pain Doré
el estanque : l’étang
gruesas nubes negras : gros nuages noirs