[Chroniques - Partie 1] Ecriture / Scenario

Bienvenue à Freesia Wood, une petite ville des États-Unis comme il en existe tant d'autres. À une exception près : Freesia Wood avait été bâtie au milieu de nulle part par de riches hommes d'affaires dont les femmes rêvaient d'évasion et de verdure. La ville regroupait donc la fine fleur de la bourgeoisie. Bien évidemment, tout ce beau monde ne pouvait se passer de luxe et de confort. Heureusement, Freesia Wood pouvait leur offrir tout ce dont ils rêvaient : un immense centre commercial réunissant les plus grandes marques, un complexe sportif comprenant un spa et un parcours de golf, des restaurants gastronomiques, un club privé et un cinéma.

Enfin, c'est la description qu'on aurait pu faire de Freesia Wood il y a vingt ans. Aujourd'hui, la ville ne ressemblait plus du tout au paradis bourgeois que ses créateurs avaient imaginé. Très vite, ils s'étaient rendu compte qu'une ville ne pouvait vivre sans caissières, sans serveurs et sans femmes de ménage. Une ligne de bus, puis une ligne de train avaient été construits pour faciliter l'accès à la ville. Ensuite, il avait fallu des logements pour tous ces gens. Finalement, Freesia Wood était devenue une ville exactement comme les autres. Une ville avec des gens qui s'aiment, se détestent, s'envient et se jalousent.

Le lycée St. Jane était le seul de la ville. Très réputé en son temps, il ne restait plus que de cette époque bourgeoise des traditions et des descendants qui n'aspiraient qu'à la gloire et au pouvoir. En ce jour de rentrée, les lycéens de St. Jane étaient plus agités que d'habitude. Tout le week-end, un seul mot avait été sur toutes les bouches : poisonpenletters.blog.us, un nouveau blog qui avait fait son apparition deux jours auparavant. Clairement inspiré du concept de Gossip Girl, le blog se targuait de dénoncer les secrets les plus honteux des lycéens de St. Jane. Et c'était plutôt réussi ! Il avait fallu moins de 24 heures pour que tous prennent connaissance du blog. Il faut dire que la première révélation de ce mystérieux corbeau était de taille. En effet, il s'attaquait à Soraya Errabah, la fille d'un riche héritier de plusieurs gisements de pétrole aux Émirats Arabes Unis, et élève de terminale à St. Jane.

« Do you know S.? » annonçait l'article dans lequel des photos coquines de l'adolescente étaient publiées. Il est clair que le blog avait créé un buzz sur Facebook. On pourrait croire que tout le monde avait été choqué par cette méchanceté gratuite ... mais pas à Freesia Wood. Les garçons se réjouissaient d'avoir de quoi fantasmé sur une des filles les plus en vue de la ville et les filles se réjouissaient d'avoir de quoi critiquer celle qu'elles enviaient toutes. Si le blog avait fait l'unanimité auprès de tous, c'est parce qu'aucun d'entre eux ne pensait un jour en être la victime. Et pourtant ...


En ce premier jour de classe, tout le monde ne parlait que de ces photos. Chacun se demandait si Soraya allait oser se montrer. Mais quand l'heure du traditionnel discours du proviseur arriva, personne n'avait vu Soraya. Petit à petit, tous les regards se tournèrent vers Colleen Olsen et Leah Hitomi. Tout le monde savait que les trois amies étaient inséparables. Elles devaient donc forcément savoir où était Soraya. D'ailleurs, les deux filles n'arrêtaient pas chuchoter entre elles ... Quand le proviseur eut terminé son discours et encouragé chacun à donner le meilleur de lui-même tant dans les matières scolaires que dans les différents concours qui opposeraient le lycée St. Jane aux autres écoles de la région, ce fut au tour de la nouvelle présidente du comité des élèves de prendre la parole.

C'est d'une voix légèrement tremblante que Leah commença son discours. Elle savait pertinemment que les élèves ne prêtaient qu'une oreille distraite à ce qu'elle disait. Ils ne voulaient savoir qu'une chose : où était Soraya ? Lorsque Leah annonça le planning pour les élections des comités des différents clubs du lycée, elle sentit une certaine agitation. Ils attendaient, mais Leah prit son temps. Elle énonça d'abord tous les clubs, puis elle passa aux équipes sportives et enfin, elle annonça la nouvelle : « Suite à de récents événements, l'équipe des pom-pom girls n'a plus de capitaine ... ». Elle n'eut même pas le temps de terminer sa phrase qu'un terrible brouhaha envahit la salle des conférences et couvrit entièrement sa voix. Ils avaient l'information qu'ils avaient attendue tout le week-end : Soraya était partie. Le proviseur dû intervenir pour que le silence revienne dans la salle et que Leah puisse terminer son discours mais plus personne ne l'écoutait.

Durant la pause midi, les ragots allaient bon train. Colleen et Leah s'étaient cachées dans la salle de réunion des élèves pour pouvoir manger en paix. Le départ soudain de leur amie les avait laissées perplexes.
- Je n'arrive pas à croire qu'elle soit partie, dit doucement Colleen.
- Moi non plus, répondit Leah. On va avoir tellement de choses à faire sans elle ... J'en ai déjà la tête qui tourne !
- Moui ... Dis, tu as déjà repensé au mail qu'on a reçu ?
- Heu, non, pas vraiment. De toute façon, je ne vois pas ce qu'elle veut qu'on fasse. Comment pourrait-on savoir qui a piraté son compte Facebook pour prendre les photos ? Et puis, quand bien même on trouve le coupable, on ne va pas l'abattre froidement ?!
- Oui je sais, mais je me sens mal ... La pauvre, elle se retrouve en Angleterre et on ne fait rien pour l'aider.
- Tu sais quoi ? On n'a qu'à lui envoyer un colis avec plein de bonnes choses qui lui rappelleront Fressia Wood.
- Bonne idée ! Comme ça elle verra qu'on pense encore à elle malgré la distance. Mais, quand même, on devrait essayer de savoir. Qui pourrait en vouloir à Soraya ? Pff, sûrement une des filles qui a été refusée chez les pom-pom girls. J'en ai marre de toutes ces filles jalouses ! Je ne sais même pas comment je pourrais prouver ça. Peut-être avec un informaticien ou quelque chose du genre ...
- Écoute Colleen, ce n'est pas qu'on ne veut pas l'aider, c'est juste qu'on ne sait pas. Et puis, avec toutes les responsabilités qu'elle nous a donné en juin, on ne va pas vraiment avoir le temps de faire la chasse au corbeau.
- C'est vrai ... J'angoisse déjà à l'idée du premier conseil des élèves.
- Il faut vraiment qu'on se donne à fond Colleen ! Je propose qu'on arrête de se prendre la tête avec cette histoire d'accord ? De toute façon, dans un mois, ils auront trouvé un autre sujet de ragot ... Et Soraya aura trouvé une autre occupation que sa vengeance.
- Je suppose que tu as raison, soupira Colleen pas entièrement convaincue.
- Bon, il nous reste trente minutes avant la reprise des cours et il faut absolument qu'on prépare ce premier conseil. Tu prends note, Colleen ?


Lors de la dernière semaine du mois de septembre, les entraînements sportifs recommencèrent. C'est sans surprise que Riley Benson, la fille du pasteur, fut élue capitaine des pom-pom girls. Bien que confiante, Riley appréhendait quelque peu ce premier entraînement. Elle savait que Colleen et Leah, les pestes de meilleures amies de Soraya, l'attendraient au tournant si elle faisait le moindre faux-pas.

- Hey, Nate ! Alors, comment était l'entraînement aujourd'hui ?
- Pas mal, je pense qu'on arrivera à faire quelque chose de bien cette année ...
- Cool ... Alors il paraît que tu envisages d'aller à Princeton l'année prochaine, parce que moi aussi. Donc je me disais qu'on pourrait peut-être aller voir à quoi ça ressemble un de ces jours ...
- Moui, pourquoi pas. Ça pourrait être sympa.
- J'ai lu sur leur site que vendredi prochain aurait lieu le match d'ouverture de la saison universitaire de basket. Je me disais que ça t'intéresserait peut-être ...
- Carrément !
Du coin de l’œil, Colleen observait Leah. Mais que faisait-elle avec Nathaniel ? Elle entendit le rire cristallin de Leah. Colleen savait très bien que la seule raison qui faisait adopter ce rire stupide à Leah était un garçon convoité. Pour en être sûre, Colleen s'approcha doucement.

- Je me suis fait hyper mal durant l'entraînement aujourd'hui. Je crois que j'ai un peu trop forcé sur mes genoux et mes épaules. J'ai mal ...
- Tu devrais mettre du LiquidSport, c'est très efficace contre les crampes et les courbatures.
- Tu sais ce dont j'ai vraiment besoin ? C'est un massage ! Eh, mais tu veux pas devenir kiné, toi ? Tu dois sûrement savoir faire des massages ...
- Ouais, ça va, je me débrouille.
- Oh, tu veux pas passer chez moi un peu plus tard. Là je dois vite aller chercher un colis à la Poste mais si tu pouvais venir après. On pourrait se commander à manger si tu veux ...
- Leah !, l'interrompit brusquement Colleen en l’attrapant par le bras, mais qu'est-ce que tu fous ?, chuchota-t-elle.
Leah se dégagea vivement et fusilla Colleen du regard. Mais de quoi se mêlait-elle bon sang ? Quand elle se retourna, elle vit Nathaniel disparaître dans les vestiaires en compagnie des autres joueurs. Furieuse, elle se dirigea à grandes enjambées vers le vestiaire des filles.

Colleen la rejoignit aussitôt. Elle attendit que les dernières filles aient quitté la pièce pour reprendre leur conversation. À l'instant même où la porte se referma, Colleen se mit à crier :
- Bordel, Leah, mais qu'est-ce que tu fous ?
- Quoi ? Je ne fais rien de mal, okay ?
- Rien de mal ? Rien de mal ? Tu étais exactement en train de faire quelque chose de mal, Leah ! Nathaniel est le mec de Soraya, tu te rappelles ?
Leah soupira bruyamment.
- Écoute, Soraya n'est plus là et je ne pense pas que Nate veuille l'attendre pendant un an ... tout comme elle ne l'attendra certainement pas !
- C'est bien pratique ça ! Tu agis vraiment comme une salope !
- Oh Colleen, arrête donc d'être aussi naïve et bien intentionnée. C'est exaspérant ! Ce n'est pas moi la salope de l'histoire, okay ? Nate était bien content de venir me retrouver à St Barth cet été !
- Quoi ?!
- Oui, Colleen. On est sorti ensemble cet été ! Et tu sais quoi ? C'était génial !
- Leah, tu me dégoûtes ! Et après ça, tu oses encore me faire des grands discours « on va envoyer un colis à Soraya ». Ton hypocrisie me répugne !
Colleen quitta les vestiaires sans même avoir pris la peine de se changer. Elle prit soin de claquer la porte bien fort en sortant. Elle était en larmes.

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