[Lehanna & Istina] Dimanche en famille

__Elsa courait à toute allure sur le chemin de terre qui reliait sa maison aux champs voisins. Son balai menaçait de glisser dans sa main moite, mais elle s’en fichait. Il fallait qu’elle se dépêche. Toute sa famille devait être arrivée depuis un moment.
__Elle hésita à aller rejoindre un groupe d’hirondelles qui volaient quelques mètres plus haut, mais se rappela qu’elle devait se hâter. Vraiment, elle détestait être en retard. Pourquoi ne pouvait-elle pas voler, déjà ? Ah oui, parce qu’il y avait ces fichus voisins qui ne savaient rien de la magie. Mais après tout, il s’agissait seulement de quelques mètres ; elle pouvait bien voler bas, personne ne la verrait. L’homme qui habitait quelques maisons plus loin mit fin à son dilemme en passant à quelques mètres d’elle.
__Elle parcouru encore quelques mètres, avant de finalement arriver devant un portail de cuivre. Il était imposant, avec ses têtes d’hippogriffe sculptées tout en haut des piquets, son lierre qui tournicotait autour des barreaux et ses fleurs très sombres qui s’y accrochait. Elsa poussa la porte et entra dans un luxueux jardin. Des dizaines de variétés de fleurs y poussaient. L’herbe était tondue à ras et les buissons formaient de-ci de-là des boules parfaites, petites, qui ajoutaient de la gaieté à toute cette splendeur. Seuls quelques éléments détonnaient dans ce décor somptueux : des balais traînaient sur le sentier de gravier qui serpentait parmi la végétation, et plus loin, aux côtés de la maison, semblaient pousser une importante quantité de potirons – à moins que ce ne soient des citrouilles ?
__Un chat vint se frotter aux pieds de la jeune fille. Noir, le pelage soyeux et les yeux ambrés, il était magnifique mais peu commun.
__« Tonton, dépêche-toi de rentrer, fit-elle. Tout le monde est à l’intérieur.
__- Tout le monde sauf toi, protesta le chat. Ils t’attendent. Dépêche-toi. »
__Sur ce, la silhouette de l’animal. À sa place se trouva bientôt un vieil homme vêtu d’un étrange assemblage de voiles et de loques gris de très mauvais goût.
__Elsa se dirigea avec son oncle vers une immense porte en chêne, attrapa la boule dorée placée parfaitement en son centre et marmonna une série de mots inintelligibles. Aussitôt, on put entendre un léger déclic et la porte pivota sur ses gonds.
Sa mère l’attendait juste derrière. Ses yeux lançaient des éclairs et elle se tenait très droite. On avait vraiment l’impression qu’elle allait sauter sur sa fille, mais elle se retint, non sans efforts, se contentant simplement de siffler entre ses dents :
__« Tu es en retard, Elsa, tout le monde t’attend, dépêche-toi. »
__L’interpellée baissa un instant la tête, tentant de s’excuser avec ces simples gestes, et avança de quelques pas. Un bourdonnement incessant s’élevait de la pièce voisine. Elle y entra et y découvrit l’ensemble de sa famille – une dizaine de tantes, une dizaine d’oncles, une cinquantaine de cousins, ses quatre grands-parents, ses six frères et sœurs et son père. La demi-heure qui suivit ne fut qu’embrassades et effusions de joie – moment dont se serait bien passée Elsa. Elle aurait voulu monter dans sa chambre et ne jamais annoncer la nouvelle qu’elle devait annoncer.
__Enfin, l’heure du jus de citrouilles – pumpkin juice time, pour les intimes – arriva et elle dut se lever, sous le regard inquisiteur de ses parents.
__« Notre petite Elsa, enfin, plus si petite que ça, commença la mère d’un ton mielleux, va fêter ses quinze ans demain. Continue, ma chérie, ajouta-t-elle en s’adressant à sa fille.
__- Hum… oui… Je… vous devez sans doute savoir que… euh… comme je suis apprentie sorcière, sous… euh… comment c’est, déjà ? Ah oui, sous la tutelle de ma mère…
__- Laisse, l’interrompit sèchement cette dernière, visiblement furieuse par le manque d’éloquence de sa fille. Donc, vous n’êtes pas sans savoir que son quinzième anniversaire passé, un apprenti doit faire ses preuves dans le monde de la magie en vivant une année entière loin de sa famille, en dissimulant sa nature aux yeux des gens… inconscients de notre potentiel magique. Il devra aider l’entourage qu’elle se fera sans moyen magique, seul… »
__La femme continua dans sa lancée pendant dix bonnes minutes, expliquant en long, en large et en travers en quoi consistait cette épreuve particulièrement longue – et qui n’amusait pas du tout Elsa. Une fois son discours achevé, les parents et la fille rejoignirent les canapés du salon et s’y enfoncèrent avec délectation. Quelques mots prononcés du bout des lèvres de la maîtresse de maison plus tard, chaque verre se remplit d’un liquide orangé à l’aspect velouté, qui avait l’air délicieux, et dans un tintement de cristal qui résonna dans la pièce entière, on put entendre jusqu’à la rue la clameur chaleureuse qui s’élevait également quelques maisons plus loin.
__« À ses quinze ans ! »