[Votes] École buissonnière

   La pluie s’abattait sur les ruines de l’ancienne ville de Washington, aux Etats-Unis. Quelque soit le lieu où l’on se promenait, on voyait toujours des ruines, et encore des ruines. Les bâtiments qui jadis faisaient le charme de cette ville n’existaient plus. Tout avait été détruit par cette météorite.

   Seul, un édifice se distinguait. C’était une école. Elle n’était que peu utilisée, certes ; mais les quelques enfants qui en avaient encore le temps ne se privaient pas de ce service. Néanmoins, cela ne suffisait pas pour remplir les classes. Il n’y en n’avait qu’une, constituée d’enfants de trois à onze ans. Il y avait un gouffre entre le niveau du plus jeune et celui du plus grand. Et pourtant, c’étaient les mêmes choses que l’on rabâchait aux élèves. Encore et encore.

   Dans les rues, on assistait parfois à une effervescence d’enfants de tous âges. Myriam, six ans, était le plus souvent de la partie.
- Foutu temps, hein ?
- Je te le fais pas dire, mais on commence à avoir l’habitude ! lui répondit Alexis, sept ans. Ils annoncent du renouveau pour les jours à venir ?
- T’espères encore ?
- Bah toujours. On sait jamais ce qui peut arriver.
- Mouais, à ta place, j’espèrerais pas trop, sous peine d’être déçu. T’as apporté le yo-yo ?

   Pour toute réponse, Alexis se contenta d’un sourire. Il sortit le jouet tant attendu de la poche de son veston troué de partout, et commença à l’utiliser de la manière la plus classique qui soit.
- Je suppose que tu vas pas à l’école, aujourd’hui ? fit Myriam avec un sourire.
- Oh, bah comme d’hab, comme si j’avais le temps. Et puis, tout ça, ça nous servirait à rien. J’ai appris à lire avant le drame.
- Bah t’as bien de la chance. Mais à mon avis tu devrais quand même y aller.
- Myriam, te fais pas d’illusions, ce gars essaie d’apprendre à lire aux petits entre cinq et six ans. Les autres, ils font ce qu’ils veulent et c’est tout. Ça sert à rien, j’te dis.
- Tu dis ça, mais j’ai six ans, au cas où, rétorqua la fillette, sûre d’elle.
- Oui, mais tu sais déjà lire, toi aussi.
Cette phrase lui cloua le bec.

   Après un silence, Alexis continua :
- Et puis, tu sais… J’ai l’impression d’en apprendre plus en m’éclatant dans la rue plutôt que là-bas. Je joue, je vois des gens… j’ai même réussi à me fabriquer un arc tout seul, t’as vu comment c’est trop la classe !
- Han ouais t’as trop de pot ! Tu m’expliques comment t’as fait ?
- S’tu veux ! Mais pour ça, va falloir que tu sèches les cours avec moi. C’est toujours OK ?

   Myriam ne réfléchit pas plus d’une seconde. Elle lui prit la main, et cria :
- C’est parti, Robin des Bois !

Comme tous les matins, Méline allait à l'école. Avant que la maîtresse et les autres élèves ne soient arrivés,  elle avait coutume d'attendre sa petite bande d'amis, sous le préau. Le mois d'octobre du CE1 arrivait à grands pas, d'ici quelques jours ; la brise agitait les fins cheveux de la petite fille, qui serra un peu plus son écharpe toute neuve autour de son cou.
Rapidement arriva son ami Mattéo. Ils se saluèrent, et il se joignit à elle, réduisant de moitié son impatience. Car l'attente était moins pénible lorsque l'on n'était pas seul.
Ce fut comme un défilé. Léa,  Kévin, Samuel...Ne manquait que Camille pour que leur petit groupe soit au complet. Seulement, elle qui était généralement en avance s'avérait ne pas pointer le bout de son nez.

-Vous croyez qu'il se passe quoi ? Demanda Méline, inquiète.

-Elle est malade ? Suggéra Kévin.

-Moi, je parie qu'elle fait l'école buissonnière ! Dit fièrement Léa.

-C'est quoi, l'école buissonnière ?

-C'est ma grande sœur qui m'a raconté. C'est quand tu vas pas à l'école. Ca permet de...Eh ben, de pas y aller. C'est pas parce que tu es malade ! Juste parce que tu n'as pas envie, expliqua la petite blonde.

-Oh, ça doit être ça ! S'exclama Mattéo. Rejoignons-la !

-Et si elle était tout simplement en retard... ?

-Oh, ça c'est pas grave, au pire, on essaie, nous, comme des grands !

La voix enthousiaste de Léa convainquit Mattéo et Samuel, mais pas Kévin et Méline, qui aimaient bien les cours et craignaient les soucis avec leurs parents.

Alors que la surveillante ne regardait pas, les trois enfants passèrent par dessus la clôture. Ils se retrouvèrent devant l'école, lui tournant le dos, alors qu'il était le matin ! Ils étaient euphoriques ; ils avaient, certes, peur de se faire prendre, mais cette excitation, cette adrénaline dans leurs veines...Bien sûr, leur candeur, leur ignorance, ne leur permettait pas de nommer, de décrire ainsi leurs sensations. Ils se pensaient contents, courageux ; ils s'imaginaient comme des aventuriers !

Léa voulut emmener ses camarades garçons à la découverte de son lotissement. Prenant garde que les voisins ne les repèrent pas, elle les guida vers le bassin de rétention. Il pleuvait assez régulièrement ces derniers temps, mais à faible dose. C'était humide, boueux ; sans que tout ne soit inondé. Le terrain idéal pour un enfant en quête de jeu.

Là, ils passèrent la matinée...Avant de rentrer, comme tous les midis, chez eux, affichant une bouille innocente, même si leur regard empli de rêveries et de malice les auraient trahis, si leurs parents y avaient fait vraiment attention.