Rouge comme la neige

La nuit de cet hiver 1830 était froide. Eléonore marchait d’un pas décidé. C’était ce soir, tout était prêt, il fallait qu’elle le fasse.  
Cet homme avait empoisonné sa vie, et surtout celle de sa mère pendant trop de temps. Il lui avait fait trop de mal et c’était à cause de lui qu’elle se laissait mourir à petit feu. Ce soir, elle achevait le désir de sa mère.
Son hôtel particulier se dressa devant elle. Elle rajusta ses gants d’un geste élégant, et sonna. Une domestique vint lui ouvrir et la conduisit dans un boudoir. Elle attendit dans un fauteuil Louis XVIII rouge sang que le maitre de maison daigne la recevoir.
Elle avait un sourire satisfait aux lèvres.  Tout s’était très bien passé depuis le début. Tout irait bien, il le fallait. Elle était montée sur Paris, abandonnant tout ce qu’elle connaissait depuis sa naissance, avait dû s’habituer aux difficultés que seuls les jeunes aristocrates désargentés connaissaient : la petite chambre de bonne, froide l’hiver, étouffante en été, parvenir à grimper dans l’échelle sociale sans un sou en poche. Tout cela, elle l’avait vécu, l’avait surmonté. Et elle ne l’avait pas fait en vain. Un jour, dans un bal où elle avait été invitée, elle l’avait retrouvé. Elle l’avait séduit, et avait entrepris sa conquête dans les différentes réceptions où ils se retrouvaient. Jusqu’à aujourd’hui, où pour la première fois, il l’avait invité chez lui.
Enfin il parut à la porte. Elle se leva et rajusta son long jupon ainsi que sa crinoline. Avec un sourire mutin, elle passa devant lui et entra dans son bureau. Ils discutèrent longtemps, se firent la cour jusqu’au soir.
C’était un plaisir pour elle de constater à quel point il marchait dans son jeu et elle l’emprisonnait un peu plus dans ses filets à chaque mot d’amour prononcé. Quand il l’invita à diner, elle exulta. Tout se passait conformément au plan.
A table, le repas fut servie, mais elle repoussa son assiette et alla se lover contre lui. Elle jouait avec son châle et il allait lui demander de regagner sa place quand soudain, elle l’enroula autour de son cou et serra de toutes ses forces. Il la repoussa mais elle tint bon et continua à serrer. Après être passé par toutes les couleurs, ses lèvres murmurant des imprécations inaudibles, son cœur s’arrêta.   Il était mort.
Rapidement, elle vérifia que son pouls, reprit son châle, le réajusta et versa dans son assiette quelques gouttes de poison. Enfin, elle cria pour alerter ses gens et se hâta vers la sortie.
Le crime était parfait, sa mère enfin vengé de cet homme ignoble qui l’avait abandonné elle et l’enfant qu’elle portait il y a plus de 20 ans. Cet homme qu’elle aurait dû appeler père était mort, sa vie pouvait commencer.
La neige qui commençait à tomber la fit frissonner, mais après tout, la vengeance est un plat qui se mange froid.