[Lehanna & Frof] La séduction

- Non, Jill, je ne pense vraiment pas que ce soit bénéfique pour votre potentielle future relation que tu ailles le voir. Il est présentement en train de rouler une pelle à ta petite sœur !

- Mais il m'a offert un collier en pâquerettes quand on était petit... c'était il y a tout pile quinze ans. Le jour de la Saint Valentin...

Emma leva les yeux au ciel et soupira, furieusement agacée. Tout son corps était tendu et retenait sa colère et sa frustration. Son amie ne souhaitait pas - ou n'était pas en mesure de - comprendre que l'amour de sa vie ne voulait clairement pas sortir avec elle. Parce que, et tout le monde était d'accord avec cela, quand un garçon comptait se déclarer à une fille pendant la Saint Valentin, il lui envoyait une carte pleine de mots trop gentils et l'invitait au restaurant - ou sous la couette, selon le degré de perversion de l'esprit du gentleman.

Seulement, Jill attendait encore ces mots. Elle était persuadée que si elle suivait son ami dans cette boîte très hype du centre-ville, il lui donnerait cette lettre qu'elle attendait tant. « Et je pourrai mourir en paix », avait-elle ajouté avec un clin d’œil, avant de s'étaler une généreuse couche de rouge à lèvre sur la bouche.

Emma n'avait pas eu d'autre choix de se porter garante de la sécurité de la jeune femme, ou personne ne l'aurait fait.

Elle se retourna et observa un instant ce mec. Ce mec qui rendait Jill complètement barge, elle qui était d'habitude si honteusement raisonnable. Ce mec qui lui faisait perdre l'esprit et qui lui faisait faire mille choses interdites - elle avait quand même volé un marchant de tomates pour se faire remarquer, bordel !

Il était beau, certes. Ses cheveux blonds étaient tirés en arrière par un paquet trop compact de gel, il était rasé de près et ses yeux brillaient d'une lueur séductrice de prédateur - tout à fait charmante, paraissait-il. Ses commissures tressautaient pour former ce sourire en coin qui faisait tomber les cœurs ; des fossettes se creusaient dans ses joues à chaque éclat de rire. Oui, il était vraiment beau ; mais c'était quand même un sacré connard, à faire dérailler Jill comme ça.

La boîte usait et abusait des lumières artificielles et multicolores, qui donnèrent vite mal à la tête à Emma. La musique pulsait à ses oreilles et elle trouva la situation particulièrement malsaine. Du coin de l’œil, elle vit un homme plutôt baraqué s'approcher dangereusement d'elle. Elle préféra se décaler de quelques pas et reporter son attention sur son amie-à-surveiller.

Amie qui dansait bien trop près de sa cible à son goût. Elle plissa les yeux et essaya de repérer une logique dans son manège. Mais rien ; la technique de drague de Jill ne suivait vraisemblablement pas de plan défini. Elle remuait collé-serré avec un parfait inconnu à trois pas de son non-futur-amant et lui lançait régulièrement des regards langoureux - il faudrait d'ailleurs lui rappeler qu'une paire de faux-cils à moitié détachée était du plus mauvais effet. Elle écrasa le pied de son partenaire de danse mais parut ne pas s'en rendre compte. Elle se rapprocha simplement du couple honnis et bouscula légèrement sa sœur, qui lui jetait des coups d’œil nerveux depuis un moment.

Finalement, celle-ci l'attrapa par le bras et l'entraîna vers le bar. Le jeune homme resta tout seul, planté sur la piste de danse un peu bêtement, et Emma se surprit à ricaner. Il avait l'air parfaitement idiot, à se dandiner. Il ressemblait un peu à un pingouin. Malheureusement, il trouva bien vite une partenaire de fortune, et il n'eut plus du tout l'air décalé.

Elle décida de se rapprocher des deux jeunes femmes, qui semblaient avoir une discussion houleuse.

- … Pas le droit de t'incruster comme ça ! J'ai dix-neuf ans, tout de même !

Emma fronça les sourcils en entendant le hurlement de Jade - il était difficile de qualifier sa phrase d'autre chose. Elle se mordit la lèvre en comprenant qu'elle pensait que Jill jouait les chaperons.

- De m'incruster ? s'indigna Jill au même moment. Pardon sœurette, mais c'est toi qui entres dans les boîtes où je vais, toi qui me gâches ma Saint Valentin, et encore toi qui me piques le mec de mes rêves ! 

- Et puis quoi ? Même si c'était le mec de tes rêves, ce dont je doute fortement - tu disais encore ça la semaine dernière de l'autre blaireau qui t'a lâchée comme une vieille chaussette -, tu n'as pas à venir fouiner dans ma vie. Surtout pour me foutre la honte en draguant comme un camionneur !

Elle fit volte-face et s'enfonça très dignement dans la masse humaine qui se trémoussait sur la piste de danse. Bientôt, elle disparut dans les volutes de fumigènes qui s'attardaient dans l'air. Jill cligna des yeux - une fois, deux fois, trois fois. Et, si pendant la conversation qu'elle venait d'avoir, elle avait paru parfaitement sobre, elle perdit toute crédibilité quand elle s'écria d'une voix éraillée :

- Oui, mais à moi, il a offert des pâquerettes, un jour !